La création fin 2015 du label Unesco Global Geopark (noté UGG), au sein du système de patrimonialisation de l’UNESCO, est le fruit d’un long processus de négociations effectué entre l’UNESCO, une communauté épistémique (IUGS) et une ONG (GGN). Après avoir rappelé l’origine et le développement du mouvement international de la géoconservation, que nous considérons comme une étape préliminaire à la proposition de création du modèle de Géoparc, nous présentons le processus d’institutionalisation des géoparcs qui s’est effectué, selon notre analyse des archives documentaires des institutions pré-citées, en trois étapes. Durant la première phase (1996-2004) au sein de l’UNESCO divers scénarios d’inscription des géoparcs dans des programmes existants (World Heritage, MAB, PICG) ont été envisagés. Après avoir présentés les raisons invoquées pour refuser cette proposition d’intégration, nous analysons les deux autres étapes soit la phase de développement des réseaux en Europe et en Asie (2004-2010) et la politique conduite par l’UNESCO (2011-2015) pour tendre vers un développement plus équitable des géoparcs dans le monde.


1. L'origine de la geoconservation

L’origine de la conservation du patrimoine géologique a été, pendant longtemps, un sujet de débat (Cynthia V Burek and Prosser 2008). Parmi les différentes étapes examinées par Burek et Prosser (tableau 1), les auteurs ont eu tendance de délimiter la notion moderne de conservation du patrimoine géologique par l’apparition des audits de conservation, comme les initiatives britanniques « Geological Conservation Review » (GCR) initiées en 1977. Ce programme national avait pour objectif d’identifier les sites du patrimoine géologique significatifs en termes de recherche, d’éducation, de formation, ainsi que pour le divertissement et l’appréciation esthétique (Wimbledon et al. 1995, cité dans Brocx & Semeniuk, 2015, p. 43). La procédure retenue s’effectuait en trois étapes : l’audit et la sélection du site ; la désignation et la législation ; et in fine la conservation et la gestion. Cette procédure est considérée, par les chercheurs anglais, comme la base du processus systématique de la géoconservation que la Grande Bretagne a exporté dans le reste du monde (Brocx et Semeniuk, 2015, p.43).

Table 1 Les différentes types d’activités de la géoconservation, extrait de Burek, C. V. & Prosser, C. D. (2008, p.3) (cf. fihcier joint à télécharger)

L’approche européenne basée plus spécifiquement sur l’inventaire géologique n’était, à cette époque, pas la seule dans le domaine de la géoconservation. Aux États-Unis, par exemple, où il est beaucoup plus facile d’établir des parcs nationaux compte tenu de l’existence de vastes territoires contrôlés par l’État, le patrimoine géologique a été protégé dès les années1890 dans le cadre de la création des parcs nationaux. Ainsi les autorités d’Arizona ont créé le Petrified Forest National Park. Thomas et Warren (2008) précisent que la situation était très différente en Grande Bretagne, compte tenu notamment des différences concernant la propriété foncière, car les territoires étaient majoritairement sous le régime de la propriété privée.

1.1 La fondation du ProGEO et « La Déclaration internationale des droits de la mémoire de la Terre»

C’est au cours des années 1970 que les scientifiques européens, travaillant en géoconservation, ont commencé à développer un réseau régional. Compte tenu des besoins émergeants pour favoriser le développement de contacts internationaux, un workshop a été organisé en 1988 à l’initiative du groupe de travail néerlandais qui a été créé en 1969 pour réaliser l’inventaire des sites importants en termes de recherche et d’éducation sur la science de la Terre. Cela a conduit à la création d’un premier groupe de travail « European Working Group on Earth Science Conservation » (EWGESC) qui a été par la suite (en 1993 à Mitwitz-Cologne, en Allemagne) dénommé « The European Association for the Conservation of the Geological Heritage » (ProGEO). C’est cette association qui, au début des années 1990, a co-organisé en partenariat avec des organismes internationaux ou nationaux une série de colloques et de conférences, dont le premier symposium international sur la protection du patrimoine géologique à Digne (France) en 1991.

Table 2 Evolution des enjeux de conservation du patrimoine géologique pronés par ProGEO de 1991 à 2015 (cf. fichier à télécharger)

« La Déclaration internationale des droits de la mémoire de la Terre » (1991) a été signée à l’occasion du symposium de Digne. Au lieu de donner une définition scientifique, ce premier texte officiel sur le patrimoine géologique, en écho à La Déclaration Universelle des Droits de l'Animal proclamée solennellement à Paris le 15 octobre 1978 à la Maison de l'UNESCO , fait référence à « la mémoire de la Terre » pour susciter l’intérêt du public sur le respect et in fine la conservation de ce patrimoine.

Tout comme un vieil arbre conserve toutes les traces de sa croissance et de sa vie, la Terre conserve des souvenirs de son passé... Un enregistrement inscrit à la fois dans ses profondeurs et à la surface, dans les rochers et dans les paysages, un enregistrement qui peut être lu et traduit. [...] Le passé de la Terre n'est pas moins important que celui des êtres humains. Il est maintenant temps pour nous d'apprendre à protéger et, ce faisant, de connaître le passé de la Terre, de lire ce livre écrit avant notre avènement : c'est notre patrimoine géologique.

Jones (2008) note que cette déclaration a constitué la base philosophique du futur programme « Géoparc » (p.274). Ce texte, largement cité dans divers documents relatifs aux géoparcs, permet cependant des lectures différentes. Dans le cadre de la création de géoparcs les divers protagonistes (chercheurs, gestionnaires, etc.) ont donc été conduits à en préciser les éléments. Ainsi, selon Erikstad (2008, 253), la réserve naturelle nationale géologique de Haute-Provence, en intégrant un réseau des géotopes protégés, s’est focalisée sur la sensibilisation du public d’une part et d’autre part en envisageant une politique de développement du géotourisme, elle a eu une forte influence pour le développement des projets de ProGEO et de géoparcs.
Si le symposium de Digne marque symboliquement l’amorce de programmes de création de géoparcs, il semble bien que ce soit la conférence de Malvern qui a, en revanche, initié une approche pragmatique avec la publication de la « Résolution Malverne » (1993). Dans ce document concis qui présente une liste de délégués et un bref plan d’action, il est clairement affirmé la volonté d’accélérer la création d’une organisation internationale pour la conservation en science de la Terre qui prendra le relai des délégués . En effet, dans le sillage de la signature de la Convention pour la Diversité Biologique (CDB) les discussions de cette conférence portaient principalement sur la proposition de création d’une convention similaire en géoconservation qui a été le sujet principal de la conférence (Erikstad 2008).

1.2 Le géopatrimoine prise en compte par l’UNESCO : GILGES et Geosites

Tandis que les géologues cherchaient à créer une nouvelle structure pour la géoconservation, ils étaient bien conscients qu’il existait déjà un programme international qui couvrait aussi le patrimoine géologique, au moins dans les textes normatifs. Dans la convention du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour l'Education, la Science et la Culture (UNESCO), le patrimoine naturel comprend en effet « les monuments naturels », « les formations géologique et physiographiques » et « les sites naturels » (UNESCO, 1972). Depuis 1989, l’UNESCO, The International Union of Geological Sciences (IUGS), le Programme international de géosciences (PICG), et l’UICN ont travaillé sur un projet de création d’une liste indicative globale des sites géologiques (y compris les sites fossilifères) (GILGES, Global Indicative List of Geological Sites), afin de fournir à l’UNESCO une liste des candidats dotés de patrimoine géologique (Erikstad, 2008).
En 1995 l’IUGS, en lien avec l’UNESCO, a pris le relais de GILGES en créant le programme « Global Géosites ». Cette nouvelle structure avait pour principal objectif de résoudre des problèmes déjà identifiés. En effet certains dysfonctionnements avaient été repérés dans le cadre de la constitution des listes indicatives au sein du Global Indicative List of Geological Sites) (Gray 2004, 192). Certaines directives de sélection, préparées pour les sites du patrimoine mondial, ne s’adaptaient pas au géopatrimoine, il en est ainsi de la variété extrême d’échelles entre les vastes parcs nationaux et les sites fossilifères s’étendant sur quelques centaines de mètres carrés. Enfin des obstacles plus fondamentaux ont été pointés comme la divergence de jugement entre les représentants des divers pays sur les critères d’appréciation de la valeur géologique d’un site (Cleal et al., 2001, cité dans Gray, 2004 p.192).
En outre le souhait d’établir un programme en géologie, similaire du programme de création de Réserve de Biosphère tel que cela a été explicitement exprimé lors de la conférence de Malvern, semble avoir joué un rôle positif dans l’émergence de ce nouveau programme. Ainsi Wimbledon, premier directeur du programme Géosites et alors secrétaire exécutif de ProGEO, a insisté sur la situation de la géoconservation en retard par rapport au développement des politiques de la CDB.

« Les administrateurs, souvent des biologistes, préoccupés par les intérêts biologiques, ont tendance à négliger la conservation des sites et monuments géologiques, et il faut admettre que les géologues ne sont pas doués pour "vendre" la géo(morph)ologie » (Wimbledon et al. 2000, 69).

Dans la continuité du GILGES, l’objectif premier du programme Géosites était également de réaliser une liste des sites géologiques d’importance internationale. L’élargissement du programme a conduit à la création d’une base de données qui, selon Wimbledon et al. (2000, 69), ne devrait pas servir uniquement pour les programmes UNESCO, mais aussi pour les initiatives nationales de protection.

Il est à noter que, dès lors, le programme Géosites a souhaité promouvoir une approche « bottom-up » (Gray, 2008 p. 193), car « les géologues de tous les pays étaient encouragés à réaliser eux-mêmes le registre », et la liste s’est faite à travers des comparaisons scientifiques entre les inventaires nationaux (Erikstad, 2008 p. 254). Cleal et al. (2001, p.10, cité dans Gray, 2008, p.193) ont précisé que le but « n'est pas de chercher des "meilleurs sites" symboliques : il s'agit d'identifier des réseaux naturels de sites qui représentent la géodiversité". is not to search for token ‘best sites’: it is to identify natural networks of sites that represent geodiversity ».

Il nous semble important cependant de souligner que, par manque de support financier, le programme Géosite a été abandonné par l’UIGS en 2003 . À la suite, l’initiative GEOSEE, « Geoparks Approach: science, heritage, communication, socio-economy and education », en collaboration avec l’UNESCO, l’IUGS et l’UIG (Union Internationale de Géographie) a débuté ses travaux en 2003/2004 et son siège de secrétariat permanent a été alloué à l’Académie chinoise de sciences géologiques à Pékin . “La principale raison de la création de GEOSEE en 2003 était qu'il existait une myriade d'activités simultanées mal coordonnées démontrant au public la valeur du patrimoine géologique et la beauté des paysages et que celles-ci n'avaient aucun lien direct avec les organismes géoscientifiques internationaux tels que l'UISG et l'UGI. Cela a été ressenti comme une grave omission de la part de l'UISG, en particulier parce qu'il s'agissait d'excellents exemples de vulgarisation géoscientifique qui figuraient parmi les priorités de l'UISG. GEOSEE a été créé en tant qu'initiative conjointe de l'UISG, de l'UNESCO et de l'UGI en 2006. Elle était considérée comme une organisation faîtière chargée de coordonner et d'intégrer les connaissances géoscientifiques dans ces activités. En outre, elle a revendiqué un rôle dans l'éducation, la culture, la communication et le développement durable des géosciences. Grâce à GEOSEE, l'UISG aurait (enfin) une position stratégique dans ces activités". (UISG EC56 Procès-verbal 5.e.1)

2. Le processus d’institutionnalisation des Géoparcs

En analysant plus spécifiquement les archives documentaires de l’UNESCO, du GGN et de l’IUGS, nous avons identifié trois principales phases dans le processus d’institutionnalisation du label Géoparc mondial.

1996-2004 : la naissance d’une initiative orientée vers le développement et les premières négociations pour un label UNESCO (1996-2004)

Vers la fin des années quatre-vingt-dix un nouveau modèle de la géoconservation, celui de « géoparc », s’est développé au sein de l’UNESCO et des communautés internationales des géologues. Selon Patzak et Eder et Eder (1999 cités dans Gray, 2004, p.194), cette nouvelle initiative avait pour objectif principal de valoriser les géosites d’une importance nationale, et de favoriser en même temps le développement économique par la promotion du géotourisme.

Plusieurs auteurs précisent que l’idée de géoparc a émergé lors du 30e Congrès international de géologie à Pékin en 1996 (Zouros 2004, 165; Mc Keever and Zouros 2005, 274; Zhao and Zhao 2003, 391). Zhao Xun et Zhao Ting (2003 p. 391) précisent que cette initiative a été proposée afin de combler les lacunes du programme du patrimoine mondial et de contourner les obstacles qui empêchaient l’avancement de la protection du patrimoine géologique. Ils soulignent à ce propos le manque de budget, le manque de reconnaissance du programme « géosite mondial » de l’IUIGS qui n’arrivait que très rarement à attirer l’attention des gouvernements membres et in fine le modèle de « protection totale » qui privait les habitants locaux de leurs droits d’utiliser les ressources naturelles. Selon ces auteurs, ce dernier point a engendré la non-coopération voire l’opposition de la population locale, ce qui a parfois amplifié la destruction des géosites .

Le lancement du projet européen en 1997 « Développement du géotourisme en Europe » semblait proposer une réponse directe à l’initiative de création de « euro-géoparc » présentée en 1996 lors du 30e Congrès international de géologie à Pékin. La focalisation du nouveau concept de géoparc sur la prise en compte commune de la patrimonialisation des géosites et du développement local, notamment par le géotourisme, a été confirmée par la charte du réseau européen des géoparc (European Geopark Network, EGN) signée en 2000. L’EGN s’est alors largement inspiré du projet européen « Développement du géotourisme en Europe » créé à partir de 1997 et surtout du programme LEADER (Liaison Entre Actions de Développement de l'Économie Rurale) II , dont l’approche impliquait une méthodologie de développement rural basée sur un nombre de facteurs clés incluant le partenariat, le développement territorial pyramidal, l’innovation et la coopération .
Il s’avère cependant que le processus d’institutionnalisation du modèle de géoparc au sein de l’UNESCO reste compliqué. Dans les archives de l’UNESCO, nous avons trouvé diverses tentatives d’établir un programme officiel dédié spécialement au patrimoine géologique, comme le Programme international des réserves géosites , et le Réseau mondial des géosites/géoparcs . C’est en 1999 que la Division des sciences de la Terre a entrepris la mise en œuvre de la nouvelle initiative baptisée « le programme Géoparcs UNESCO ».
À la recherche d’une structure institutionnelle

Le Programme Géoparcs était initialement envisagé, tel qu’il est présenté en 1999 au sein de l’UNESCO comme une entité distincte destinée à compléter la Convention du patrimoine mondial et le programme sur L'Homme et la biosphère, pour attirer directement l'attention sur la conservation géologique. Le document intitulé « Programme Géoparcs de l'UNESCO – nouvelle initiative pour promouvoir un réseau mondial de géoparcs permettant de préserver et de mettre en valeur des zones présentant des caractéristiques géologiques particulières » (UNESCO 156 EX/11 Rev.) propose une introduction du concept de géoparc avec la définition suivante :

Comme l'ont recommandé les réunions d'experts, un géoparc sera une zone consacrée à des caractéristiques d'une importance, d'une rareté ou d'une beauté géologique particulière. Ces caractéristiques doivent être représentatives de l'Histoire géologique d'une région particulière et des événements et processus qui l'ont formée. (UNESCO, 156EX/11 Rev. 1999, p.2)

Concrètement, trois objectifs ont été soulignés pour lancer le programme au sein de l’UNESCO, à savoir:

"l'utilisation des sites géologiques pour l'éducation du grand public et l'enseignement des sciences géologiques et des questions environnementales" ; "leur potentiel en tant qu'outil assurant un développement durable" ; et "la conservation du patrimoine géologique pour les générations futures". (UNESCO, 160 EX/10, 2000, p.2).

Cette initiative du programme Géoparc UNESCO a ensuite fait l’objet de réflexions notamment dans une étude de faisabilité réalisée par Tony Weighell, expert en géosciences au service de biodiversité et de l’écosystème au sein du Joint Nature Conservation Committee (JNCC) au Royaume-Uni, en collaboration avec le Secrétariat de l'UNESCO, avec le concours d'un certain nombre de spécialistes extérieurs et en consultation avec le Conseil scientifique du PICG (UNESCO, 160 EX/10, 2000).

Il semble que l’approche holistique et écosystémique de conservation adoptée par JNCC aurait eu une influence sur la décision de l’auteur par rapport à la création d’un nouveau label. De plus, les acteurs du secrétariat de l’UNESCO ont exprimé la crainte de créer une confusion avec les labels voisins d’une part et d’autre part d’entraîner une fragmentation des programmes UNESCO, voire la dévalorisation des labels existants (UNESCO, 2000, 30C, p.54). En conséquence, l’idée d’établir un programme distinct a été remplacée par une approche holistique, ce qui fut la conclusion d’une première étude de faisabilité en 2001 :

L'étude de faisabilité conclut qu'une approche "holistique" (associant géologie, biologie, culture et économie) est non seulement compatible avec une conservation efficace, mais permettrait également de mettre en place un programme plus efficace. L'étude de faisabilité recommande que l'initiative "Géoparcs" ne soit pas poursuivie comme un programme séparé. (UNESCO, 160 EX/10, 2000, p.3)

Ainsi, plutôt que de lancer un nouveau Programme Géoparc, l’UNESCO a d’abord privilégié une solution d’intégration dans ses programmes existants. L’option d’une combinaison avec le programme du patrimoine mondial a d’abord été éliminée, pour la raison suivante :

[...] Si, par conséquent, de nombreux sites d'importance internationale, et ipso facto nationale, ne peuvent pas être inscrits sur la liste du patrimoine mondial, ces mêmes sites mériteraient certainement d'être reconnus par un autre mécanisme. (UNESCO, 160 EX/10, 2000, p.4)

Les représentants du Programme international de corrélation géologique (PICG) ont, quant à eux, refusé toute contribution pour l’initiative du Programme Géoparc autre que celle de l’expertise technique. Le comité insiste sur la nature scientifique de leur programme, ce qui exclut, à une intégration du Programme Géoparc :
"L'activité du PICG est la science, et ce mandat ne devrait pas être modifié par l'introduction d'un programme Géoparcs de l'UNESCO dans le PICG. " (UNESCO, 160 EX/10, 2000, p.4)

Enfin selon le rapport de faisabilité, l’intégration des Géoparcs dans le programme MAB semblait le mécanisme le plus approprié. Les avantages d’un programme intégré par rapport à un programme distinct est synthétisé dans le tableau suivant :

Table 3 Critères de choix pour une hypothétique intégration du Programme Géoparc de l’Unesco dans le programme MAB (extrait de UNESCO 160 EX/10, 2000, p.5)

Cependant, la proposition d’intégrer les géoparcs et les géosites en tant qu’un label d’excellence dans le réseau des réserves biosphères n’a pas obtenu le soutien du programme MAB. Plusieurs paramètres ont été abordés dans les débats. En dehors des craintes d’un surcroît de travail administratif et financier, ainsi que des incompétences en géosciences dans les comités nationaux de MAB, c’était toujours la confusion liée à la multiplication des labels et la dévalorisation du label de la réserve de biosphère qui a freiné les experts du bureau de MAB. Plus spécifiquement, les participants du débat pointaient " la différence essentielle entre les géosites (petits sites d'importance géologique et scientifique) et les géoparcs (zones plus vastes, considérées comme exprimant une relation entre l'homme et la géologie, et servant de pôle de développement économique) " (UNESCO, 161 EX/9, 2001, p.2), pour réaffirmer l’exclusion notamment des géoparcs de leur programme.

Par conséquent, sans avoir réussi à formaliser le programme officiel Géoparcs, l’UNESCO a proposé, depuis 2001, son aide au développement des géoparcs à la demande expresse des États membres.

2004-2010 : développement des réseaux en Europe et en Asie(2004-2010)

Lors de la décennie 2000 on a pu observer le développement rapide du réseau mondial et des réseaux régionaux.

The Madonie Agreement of 2004 provided that all Geoparks reconnu par ognised by tl’he European Geopark network (EGN) d’une part et d’autre part tous les géoparcs du réseau chinois devaient également être membres du Réseau mondial des géoparcs nationaux (GGN) de l'UNESCO.

Notons également qu’après la création en 2000 de l’EGN, le Réseau Asie-Pacifique des géoparcs (Asia-Pacific Geopark Network, APGN) a été créé en 2009. Ces divers réseaux ont très clairement favorisé la création de nombreux géoparcs dans le monde (CF tableau 4 Yearly growth of the number of GGN member by region. Data collected from globalgeoparksnetwork.org )

Néanmoins, ne bénéficiant pas de support budgétaire de l’UNESCO, les géoparcs ont été contraints de s’établir sur la base de la volonté politique des autorités locales avec un support financier alloué sur le long terme (GGN, Operational Guidelines, 2006, 2008). De plus, selon les règles du guide opératoire des géoparcs, les frais liés aux missions d’évaluation doivent être entièrement pris en charges par la structure évaluée (financement national ou local). Ces contraintes financières, et / ou administratives et scientifiques liées à la rédaction du dossier de candidature ont-elles notablement entravé la création de géoparcs dans les pays ayant moins de ressources ? En effet suite à cette période de croissance rapide, one ne peut que constater que les territoires labellisés Global Geoparks sont quasiment tous situés dans les deux régions fondatrices du GGN, à savoir l’Europe et la Chine (Cf figure 3 Carte de répartition des GGN en mai 2012, http://www.globalgeopark.org).

2011-2015 : L’UNESCO veut favoriser un développement plus équitable des géoparcs dans le monde (2011-2015)

Face à la répartition disproportionnée des géoparcs dans le monde, l’institutionnalisation du programme Géoparc a de nouveau l’attention de l’UNESCO. C’est plus spécifiquement en 2011, à la demande de l’Uruguay, que l’idée d’apporter un soutien concret pour assurer une répartition plus équilibrée des géoparcs à l’échelle mondiale a fait l’objet de discussions au sein de l’UNESCO.

Courant 2013, 4 options pour officialiser les relations entre les géoparcs mondiaux et l’UNESCO ont été abordées et discutées par le groupe de travail (WG) sur le Géoparc mondial : i) le statu quo, (ii) GGN devient une ONG qui, à son tour, s'associe officiellement à l'UNESCO pour des projets particuliers par le biais d'un protocole d'accord, (iii) un programme intergouvernemental et (iv) une initiative dotée d'une structure administrative légère. (UNESCO, 2013, 192 EX/9).

Dans le texte présentant le résumé des réunions du working group (WG) (UNESCO, 192 EX/9, 2013) un consensus apparaît sur deux points :

- que la relation ad hoc était moins qu'optimale en raison des avantages minimes pour l'UNESCO et le GGN,

- La proposition de signer un Memorandum of Understanding (MoU) avec le GGN ayant le statut de NGO n’est pas viable compte tenu de la nature gouvernementale de nombreux géoparcs mondiaux. Le débat a alors porté sur le mécanisme d’administration de l’UNESCO.

Ce résumé officiel pointe que l’enjeu principal dans les modifications du guide opératoire est de " conserver la structure légère ascendante du GGN existant tout en donnant aux États membres et à l'UNESCO une surveillance et un contrôle adéquats ". Cette déclaration pointe également les divergences exprimées sur le nouveau mode d’administration qu’il faudrait initier. La plupart des participants ont opté, afin de minimiser le changement par rapport au modèle actuel et le surcoût induit par ce dernier, pour une intervention légère de l’UNESCO soit la création d’un comité consultatif (de la catégorie V) semblable à celui du programme de Memory of the World . La Chine a accepté cette proposition, comme un objectif à court-terme, tout en proposant de développer les géoparcs à long terme dans une structure de programme intergouvernementale. Cette dernière proposition n’a pas été retenue par la plupart des participants. Cela traduit la tension entre deux modes de gestion différent, l’approche chinoise qui privilégie une gestion centralisée en vue d’officialiser au maximum le label Geoparc d’une part et, d’autre part, la réticence des autres États membres et des experts de géoparcs qui craignent les freins dûs à la mise en place d’une lourde administration.

Selon le premier document officiel du GGN, après l’obtention de son statut juridique en tant qu’ONG française en 2014, c’est la Déclaration de Stonehammer (2014) qui aurait marqué un tournant décisif dans les orientations de la construction des géoparcs mondiaux notamment dans trois aspects particuliers :

- encourage un développement géographique équitable des géoparcs mondiaux et soutient ainsi tous les efforts visant à étendre les géoparcs mondiaux dans les régions du monde qui sont actuellement sous-représentées dans le GGN

- fournir des connaissances géo-scientifiques en tant qu'élément substantiel pour la conservation de la nature, la protection du géo-patrimoine, l'éducation environnementale, y compris les catastrophes naturelles et le changement climatique, le développement du géo-tourisme et la bonne gestion des géoparcs

- souligner le respect des traditions locales dans la nouvelle définition des géoparcs , correspondant au nouveau thème de « l’autonomisation des peuples autochtones » (empowerment to local communities) en tant qu’une des finalités décisives du PIGG (UNESCO, 2015, 196 Ex/5 Part I page. 17).

C’est finalement en Novembre2015, lors de la 38e session de la Conférence générale de l’UNESCO que le Programme International pour les Géosciences et les Géoparcs (PIGG) a été approuvé. Le nouveau label Unesco Global Geopark (UGG) a ainsi été créé en intégrant tous les géoparcs mondiaux existants (UNESCO, 38 C/92 Rev. Annex I).
Les géoparcs du GGN ont intégré l'UNESCO dans le cadre de son "Main line of action 4 : Fostering international science collaboration for earth systems, biodiversity, and disaster risk reduction", en même temps que le programme MAB. "Le Réseau mondial des géoparcs, soutenu par l'UNESCO, encourage la création de sites d'une valeur géologique exceptionnelle qui sont à la base du développement durable local". (UNESCO 37C/5, 2014, p.95). Outre leur intégration dans les politiques de développement durable, les géoparcs mondiaux ont été mis en valeur pour leur nouveau rôle de « construction de la paix » (notamment en Afrique et en Amérique Latine) dans le bilan des programme UNESCO 2014/2017, ce qui semble renvoyer aux missions fondatrices de l’UNESCO (Brianso and Girault 2014) : « La collaboration internationale pour développer des voies communes de gestion des ressources de la terre est au cœur du mandat de l'UNESCO dans le domaine de la science, et contribue non seulement au développement durable mais aussi à la construction d'une culture de paix et de dialogue " (op. cit. p.95).

Suivant cet objectif, les indicateurs de performance pour les géoparcs mondiaux UNESCO ont été fixés comme par exemple, "Nombre d'initiatives transfrontalières ... soutenues par la consultation et la coordination dans un cadre de coopération et de gestion approprié (op. cit. p.146). Ainsi, pour la période 2014/2017, il était prévu de créer au moins 40 nouveau géoparcs mondiaux, dont quatre géoparcs transnationaux, notamment en Afrique et en Amérique Latine (UNESCO 37C/5, 2014, p.96). L’objectif de création de géoparcs transfrontaliers s’inscrit également dans le cadre du « Global Priority Africa » pour son « Flagship 1: Promoting a culture of peace and non-violence » et pour son « Flagship 4 : Fostering science for the sustainable management of Africa’s natural resources and disaster risk reduction » (UNESCO 37C/5, 2014).

Néanmoins, il semble que cette référence à la construction de la paix n’apparaisse plus dans les passages mentionnant le géoparc dans le Programme et budget 2018/2019 (UNESCO 39 C/5), même si les labellisations transfrontalières restent, pour la période 2018/2019, un des indicateurs de performance concernant le géoparc mondial UNESCO. En revanche, nous observons deux nouvelles orientations dans ce document publié en 2017 (UNESCO 39 C/5, 2017). La première concerne l’enjeu de l’UGG qui privilégie de nouveau la gestion des ressources naturelles « [les géoparcs mondiaux UNESCO] seront une aide essentielle pour renforcer les capacités des États membres à gérer durablement leurs ressources naturelles. Une attention particulière sera accordée aux régions du monde où les géoparcs mondiaux UNESCO sont peu nombreux ou inexistants, notamment en Afrique, en Amérique latine et dans les Caraïbes, ainsi qu’en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique, surtout dans les PEID. » En conséquence, l’indicateur de performance du programme n’est donc plus le nombre de nouveaux sites et des sites transfrontaliers, mais bien plus le nombre d’États membres ayant créé de nouveaux UGG, avec un objectif à atteindre de16 États membres dont 2 en Afrique (UNESCO 39 C/5, 2017).

La deuxième orientation privilégie, au même titre que les sites du patrimoine mondial, les réserves biosphères et les sites Ramsar, de « faire des sites désignés par l’UNESCO des sites d’apprentissage pour une approche inclusive et globale des aspects environnementaux, économiques et sociaux du développement durable ». Deux nouveaux indicateurs concernant les UGG sont donc proposés à cet effet :

(1) l’usage des géoparcs comme sites de « démonstration de solutions de développement durable » en mettant accent sur l’inclusivité des groupes vulnérables et l’égalité des genres,

(2) l’usage des géoparcs comme réseau d’observatoires de la résilience au changement climatique et aux risques naturels, en mettant à profit la science citoyenne (op. cit. p.102). Il est à noter que les Petits États insulaires en développement (PIED) constituent ici une zone prioritaire d’action, tout comme les pays africains.

Table 5 Comparaison des résultats escomptés, des indicateurs de performance et des cibles concernant les géoparcs mondiaux UNESCO entre la période 2014/2017 et 2018/2019 selon les documents approuvés au sein de l’UNESCO (cf. fichier à télécharger)

En réalité cette deuxième vague de l’institutionnalisation du patrimoine géologique s’est non seulement manifestée lors de la préparation du PIGG qui réorientait lui-même les géoparcs mondiaux autour des trois axes de l’activité de l’UNESCO (science, éducation et culture), mais elle a été également accompagnée par l’accroissement de l’attention des communautés de conservation. Un « task group » de l’UISG « GeoHeritage » a été lancé et dirigé depuis 2010 par Patrick de Wever, Professeur au Muséum national d’Histoire naturelle et membre du programme européen H2020 GEOPARK, dans le but de valoriser les patrimoines géologiques par une approche d’inventaire et de législation. Parallèlement, l’UICN et la Commission mondiale des aires protégées (WCPA, World Commission on Protected Areas) ont établi un groupe de spécialistes en géopatrimoine (GSG, Geoheritage Specialist Group), travaillant sur la conservation des patrimoines géologiques dans les aires protégées.

3. Conclusion

En résumé, nous pensons qu’il existe trois étapes en termes de développement et de processus d’institutionnalisation du programme Global Geopark au sein de l’UNESCO

  • 1990 à 2004 : la naissance de l’initiative de Global Geopark suite au programme GEOSITE a été la première tentative de l’intégrer dans l’agenda de l’UNESCO, mais cet objectif n’a pas abouti,
  • De 2004 à 2010 : phase de développement progressive du GGN avec une forte centration en Europe et Chine
  • De 2010 à 2015 : Deuxième tentative d’officialiser le programme Global Geopark afin d’obtenir davantage de soutien de l’UNESCO.

Cette analyse sur le processus de l’institutionnalisation du programme Global Geopark tend à mettre en lumière la complexité de la genèse d’un label patrimonial UNESCO comme un processus d’articulation et une constellation d’actions et d’événements inter-associés. Derrière le label UNESCO se déploie une série d’acteurs institutionnels qui fabrique la politique patrimoniale : les services variés du secrétariat de l’UNESCO, l’IUGS en tant que communauté épistémique, le GGN en tant qu’ ONG hybride, ainsi que d’autres institutions régionales (Europe), nationales (Chine), ou territoriales. La complexité de ces pratiques institutionnelles révèle le système de connexions et de négociations au sein duquel circulent des discours et des représentations de catégories de patrimoine ( nature/culture, matériel/immatériel, biotiqiue /abiotique….) qui, loin d’être homogènes et consensuelles, véhiculent des approches et des valeurs différentes de la gouvernance globale de la nature (Berliner and Bortolotto 2013).

Le cas du programme UGG nous invite donc à repenser la dimension globalisée et globalisante de l’UNESCO en mettant en question la dichotomie du global/local ou état/société. Lorsque la politique internationale de patrimonialisation est examinée de près, nous trouvons la "diversité et la fluidité des formes, des fonctions et des dysfonctionnements" en conséquence que tous les États sont divisés sur le plan interne et soumis à la pénétration de forces conflictuelles et généralement contradictoires" (Bright et Harding 1984 : 4).
Ainsi les instances internationales de patrimonialisation ne peuvent pas être considérées comme déconnectées des « sociétés locales », car ces institutions sont elles-mêmes « composé d'ensembles de pratiques sociales qui sont tout aussi "locales" dans leur situation sociale et leur matérialité que n'importe quelle autre (Durão et Seabra Lopes 2011) . Paradoxalement ce processus d’institutionalisation des géoparcs par le label UGG qui semble induire des approches globales ou /et locales, implique à contrario et comme nous l’avons montré (Du and Girault, 2019) que chacun des territoires labélisés UGG apparaisse comme un terrain hybride où se jouent les négociations et les compromis inter-scalaires entre des fabric-acteurs et des objets de patrimoine.

DU, Yi

&

GIRAULT, Yves

MNHN, Paris, France

 

Extrait de: Du, Yi, Girault, Yves, 2018. A Genealogy of UNESCO Global Geopark: Emergence and Evolution. International Journal of Geoheritage and Parks. 6(2): 1-17


Pour aller plus loin

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Ce texte reprend pour partie la publication téléchargeable ci-dessous : FULL TEXT

Pour citer cet article : Du, Yi, Girault, Yves, 2018. A Genealogy of UNESCO Global Geopark: Emergence and Evolution. International Journal of Geoheritage and Parks. 6(2): 1-17