Le renforcement de la protection des sites en France : la Stratégie de Création des Aires Protégées (SCAP)


En 2008, le gouvernement français a mis en place un grand programme portant sur l’environnement baptisé « Grenelle de l’environnement ». Cette grande réflexion a abouti à la définition d’un ensemble d’actions politiques ou scientifiques environnementales, à mener sur le territoire. Un des résultats de ces travaux a été de constater que le réseau des aires dites « fortement protégées » n’était pas assez développé en France. Les aires dites « fortement protégées » sont régies par les outils réglementaires suivants : réserves naturelles (nationales, régionales et de Corse), les cœurs des Parcs Nationaux, les Arrêtés Préfectoraux de Protection de Biotope (et bientôt de géotope) et les sites classés. Ces aires représentent actuellement 1,2% de la surface de territoire métropolitain. Les aires protégées par des outils de protection moins contraignants représentent quant à elles 10 % de la surface du territoire métropolitain.

Afin d’améliorer cette situation, une stratégie a été mise en place. Cette Stratégie de Créationdes Aires Protégées (SCAP), officiellement lancée par le ministère en charge de l’environnement en 2009, vise à placer au moins 2% du territoire terrestre métropolitain sous protection forte, d’ici 2020 et à améliorer la représentativité et la cohérence du réseau des aires protégées.

Concernant la géologie, un groupe spécial de travail « géodiversité » a été mandaté par le ministère afin d’effectuer une analyse pour insérer cette thématique dans la stratégie. Ces travaux se sont principalement étendus de 2009 à 2011 (Egoroff et al., 2011) Les résultats de l’inventaire national du patrimoine géologique français n’étant pas encore disponibles à cette époque, il a fallu que ce groupe de travail définisse des « catégories géologiques » qui serviraient de guide pour les personnes contactées pour renseigner des sites.

Quatre catégories de sites géologiques ont ainsi été distinguées :

  • les étalons internationaux (comme par exemple des stratotypes ou des Global Boundary Stratotype Section and Point ou GSSP),
  • les sites « ponctuels » de conservation (comme par exemple des sites à empreintes de dinosaures ou des sites à intérêt minéralogique),
  • les grands ensembles géologiques et tectoniques (comme par exemple les ophiolites du mont Chenaillet, dans les Alpes),
  • les paysages géologiques, à l’interface entre géologie et géographie (comme par exemple des paysages karstiques ou le cirque de Gavarnie dans les Pyrénées).

Une première liste de 140 sites majeurs restant à préserver en France métropolitaine a été constituée à partir de ce travail. A la fin de l’année 2012, plus de 300 projets (à motivation de création biologique et géologique) étaient en développement.


1. Les Outils de "protection" et de "gestion" de la nature en France :

En France, jusqu'à la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, la géologie et ses disciplines affiliées, n'était généralement pas directement prise en compte dans les textes de lois. Les termes employés dans les textes étaient génériques : "nature", "diversité naturelle" et souvent interprétés comme la nature biologique, et non pas minérale… De ce fait, de nombreux outils de protection de la nature et un grand nombre des projets de création d'aires protégées en France ont été fondés sur des raisons biologiques, et non pas géologiques.

Ceci explique qu'un grand nombre des outils de protection ne protègent pas "directement" la géologie. Néanmoins certains sont applicables pour la protection de sites ou objets géologiques et on peut retrouver des objets géologiques remarquables dans chacun de ces territoires.

Plusieurs types de protection sont utilisés sur le territoire métropolitain. Des informations plus complètes sur le sujet sont fournies dans l’annexe 3. A l’échelle nationale on distingue (Lefebvre & Montcorps, 2010) trois modalités juridiques de protection d’espaces naturels :

  • l’approche réglementaire : consiste à limiter voire interdire généralement par arrêté ou par décret (selon l’organe responsable de la protection) des activités humaines en fonction de leurs impacts sur les milieux naturels ;
  • l’approche conventionnelle : vise à déléguer à un tiers pour une durée détermine la gestion et la préservation d’un espace naturel dans le cadre d’une convention de maitrise d’ouvrage ;
  • l’approche foncière : repose sur l’acquisition de terrains en pleine propriété en vue d’assurer la protection définitive d’un espace naturel.

Un outil de protection peut parfois relever de deux approches différentes. Nous ne présentons ici que ceux qui concernent les géosciences, directement ou indirectement. Il existe aussi des espaces protégés des collectivités françaises d’outre-mer correspondant à autant de statuts juridiques et de catégories d’espaces protégés, certains relevant de compétences particulières. Ils ne sont pas traités ici.


2. Outils réglementaires :

Les parcs nationaux (PN) :

Outils de protection et de gestion, ils sont de la responsabilité de l'État. Leur création, après consultation publique relève d’un décret du ministre chargé de la protection de la Nature. Il existe 9 PN 10 PN en 2013, en France. Les PN sont des établissements publics dans lesquels la législation est forte, en particulier sur le "cœur" du Parc. Dans les idées d’origine, il s'agissait de définir des territoires de réserve totale de la nature. Des activités traditionnelles (exemple pastoralisme) peuvent être autorisées. Ex. PN des Cévennes, PN des Pyrénées.

Les réserves naturelles nationales (RNN) :

Outils de protection et de gestion. Leur création, après consultation publique relève d’un décret du ministère chargé de la protection de la Nature. Les réserves sont regroupées en un réseau national, l'association Réserves Naturelles de France (RNF). Cette association comprend une commission Patrimoine géologique. Il existe 164 RNN 165 RNN en 2013, en France. La géologie, si elle est bien explicitée dans le décret de création, est prise en compte (des RNN ont été créées sur des motifs géologiques). Ex. Saucats-laBrède, Hettange Grande, Ile de Groix …

Les réserves naturelles régionales (RNR) et réserves Naturelles de Corse :

Outils de protection et de gestion portés par les Régions (Conseils Régionaux et Assemblée de Corse), ces réserves font également partie du réseau RNF. Les processus et effets de classement sont légèrement différents des RNN. Certaines anciennes "Réserves naturelles volontaires" sont intégrées aux RNR. Il existe 185 RNR en France (en 2010) 126 RNR en 2013 et 6 en Corse (2013). Ex. Sillon de Talbert, réserve géologique de Pontlevoy …

Les réserves biologiques de l’Office Nationale des Forêts (RB/ONF) :

Outils de protection et de gestion, elles sont créées à l';initiative du propriétaire (particuliers, communes ou ONF pour les forêts domaniales) par Arrêté interministériel (Ministère en charge de l'Agriculture et Environnement) après avis du Comité National pour la Nature (CNPN). Les terrains gérés par l'ONF sont des espaces relevant du code forestier. Les espaces les plus remarquables peuvent être classés en réserve biologique intégrale (RBI) ou dirigée (RBD). Dans ces cas, la géologie est prise en compte au même titre que la biologie dans la protection et la gestion du territoire. Il existe 234 RB/ONF en 2013, en France. Ex. Le Mont Ventoux est un site géologique remarquable qui est en partie une réserve biologique de l’ONF.

Les sites classés et sites inscrits : 

Outil de protection, mais pas de gestion, à l'initiative de la Commission départementale de la Nature, des paysages et des sites. Arrêté du Ministre chargé des sites. Les travaux et destructions qui tendent à modifier le site sont interdits, à partir du moment où l'instance de classement est prise en compte par l'administration. Il existe 2665 sites classés 2680 sites classés en 2012 (4795 sites inscrits 4794 en 2012), 4% du territoire est concernée par ces protections. Ex. les deux caps Gris-Nez et Blanc- Nez.

Les arrêtés préfectoraux de protection :

Outil de protection, mais pas de gestion. Arrêté du préfet de région qui ne nécessitent pas de consultation publique et peuvent être rapide à mettre en œuvre. La loi du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement, a étendu le champ d'application des arrêtés de protection de biotope aux géotopes. Cet outil, souple et efficace, pourra donc être spécialement utilisé pour un motif purement géologique dès que le décret d'application aura été publié (il est à la signature depuis 2012). Il existe 820, en 2013, arrêtés préfectoraux de protection de biotope, d’habitat naturel ou de site d’intérêt géologique.


3 - Protections conventionnelles :

Les parcs naturels régionaux :

Outil de développement, ils sont à l'nitiative des Régions et sont officiellement institués par décret en Conseil d’Etat. Les communes qui adhèrent à un parc naturel signent une charte d'engagement portant sur la nature, sa mise en valeur, sa préservation etc… Les Parcs sont gérés par un syndicat mixte et peuvent être gestionnaire de Réserves naturelles, de sites Natura2000 etc., qui seraient sur leur territoire. Ex. Parc Naturel Régional du Luberon, Parc naturel Régional du Chablais. Il existe 48 parcs naturels régionaux en 2013.

Les sites Natura 2000 :

Ces sites font partie du réseau européen "Natura 2000". Ce réseau fait suite à la directive communautaire du 21 mai 1992 au titre des habitats de la flore et de la faune et de la Directive du 30 novembre 1979 au titre des oiseaux. . Le réseau Natura 2000 (1753 sites en France, en 2013) n'est pas un outil de protection en tant que tel, mais l'inscription d'un site dans ce réseau, ainsi que la signature des "contrats Natura 2000" atteste de la valeur écologique d'un espace et impose des études avant tout projet susceptible de détérioration. Ex. Les Gorges de la Dourbie et causses avoisinants, les Hauts plateaux du Vercors. Les éléments relevant de la géologie ne sont donc pas concernés par cette mesure.

Les sites du patrimoine mondial de l’UNESCO :

Les sites, proposés par les États, relèvent d’une décision du Comité International du Patrimoine Naturel. Le statut de protection est réglementaire et conventionnel est assuré par l’État. Il y en 4 en France, en 2010 2013 : trois au seul titre de la nature (Scandola en Corse ; lagons de Nouvelle-Calédonie ; cirques et pitons de La Réunion), un autre étant mixte, culture et nature (le Mont Perdu-Cirque de Gavarnie en Midi-Pyrennées Pyrénées).


4. Protection par maitrise foncière :

Les espaces naturels sensibles (ENS) :

Outil de protection et de gestion des départements, ils sont mis en œuvre par les conseils généraux et ouverts au public (loi du 18 juillet 1985). Les conseils généraux peuvent instituer de zones de préemption sur des espaces naturels sensibles, sur lesquels, ils peuvent se substituer à tout acheteur. Le financement se fait à partir d’une taxe départementale des espaces naturels sensibles. 99 départements mènent aujourd’hui cette politique constituant un réseau national de 4000 sites représentant 200 000ha de nature (Pecquet, 2013). On en compte 3050 en 2010. Ex. La réserve naturelle des sites géologiques de l’Essonne.

Les conservatoires d’espaces naturels (CEN) existent depuis plus de 30 ans en France. Ils sont fondés sur le système associatif , ils œuvrent pour la préservation du patrimoine enaturel et des paysages. Les espaces d’intervention des Conservatoires d’Espaces Naturels (CEN), d’après une enquête effectuée en 2011 pour les CEN et RNF, concerne surtout la gestion de sites géologiques ou à caractère patrimonial reconnu et leur valorisation (en termes d’animation par exemple). Ils interviennent ainsi pour la connaissance et la gestion des espaces qui bénéficient déjà d’une maitrise maîtrise foncière, ou d’usage, (convention, bail, ..°, ou d’un statut réglementaire (réserves naturelles, arrêtés de protection de biotopes) ; 2374 sites sont ainsi concernés (Guyétant, 2013).


5. "Labels" :

Les grands sites Le label « Grands sites » est attribué par l’Etat, par le ministère en charge des sites (généralement le Ministère en charge de l’Environnement) pour une durée de 6 années, il requiert un engagement de participer au réseau . Il est attribue comme reconnaissance d’une excellence de gestion.

Tous les sites sont classés au titre de la loi de 1930 sur la protection des sites, bénéficie d’une grande notoriété et soumis à une fréquentation touristique importante. 

Sur environ 2500 sites classés au titre de la Loi de 1930, une bonne centainecorrespond potentiellement à la notion de « grand site », 44 54 en 2013 sites font, ou ont fait, l’objetd’une opération grand site associant l’Etat et les collectivités locales, 33 40 en 2012 se retrouvent au sein du réseau grands sites de France, et 6 13 en 2012 ont obtenu le label Grands sites de France. Ex de grands sites : Dune du Pilat, Gorges du Tarn, les Deux Caps Blanc Nez-Gris Nez, la montagne Sainte Victoire.

Les Géoparcs :

Le label Geoparc (European Geopark ou Global geopark) est obtenu après que les outils de protection et de gestion aient été mis en place. Ce label témoigne d'une démarche de qualité impliquant développement durable, éducation, recherche etc. L’obtention de ce label n’apporte directement aucun moyen matériel. Structure de type "Parc Naturel Régional" : les porteurs du projet s'engagent sur une charte qui est révisée tous les 4 ans. Les structures s’engagent à participer aux travaux du réseau des géoparcs européens (European Geopark Network (depuis 2002 ou du réseau des « géoparcs globaux" (Global Geopark Network, depuis 2005). La France a initié ces géoparcs puisqu’elle possède le premier geoparc au monde : la Réserve géologique de Haute Provence (n°1). Depuis elle a obtenu 3 autres labels : le géoparc du Luberon (n°14) , des Bauges (n°46) puis du Chablais (n°50).

 

DE WEVER, Patrick, CORNÉE, Annie, EGOROFF, Grégoire

MNHN, Paris, France


Pour aller plus loin

Egoroff G., De Wever P., Cornée A., Monod K. (2011).- Du Grenelle 1 à la protection du Patrimoine Géologique. Géochronique, 119, 17-19.

Lefebvre T., Moncorps S. (coordination), 2010, Les espaces protégés français : une pluralité d’outils au service de la conservation de la biodiversité. Comité français de l’UICN, Paris, France, 100 pages.

Maris, V., «  Chapitre 16. Les aires protégées dans l’Anthropocène. Quelques pistes pour penser l’adaptation aux changements climatiques », dans Penser l’Anthropocène. Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Académique », 2018, p. 265-282. HYPERLINK

Pecquet D. (2013).- Valorisation de l’inventaire du patrimoine géologique dans les espaces naturels sensibles. In Egoroff et al. (2013), Actes du colloque « Géopatrimoine, un lustre d’inventaire en France », 10-12 octobre 2012.- Digne-les- Bains.- Mém. H.S. Soc. Géol. Fr., 13, 218p., pp.124- 127.


Ce texte reprend pour partie la publication téléchargeable ci-dessous :

Pour citer cet article : Patrick De Wever, Grégoire Egoroff et Sylvain Charbonnier, 2016. Le patrimoine géologique en France. La Lettre de l’OCIM Musées, Patrimoine et Culture scientifiques et techniques 165 | 2016


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