Afin de populariser le géopatrimoine plusieurs méthodes sont possibles : des conférences grand public, des livres destinés à un public non spécialisé, des excursions de terrain, des collections de fascicules expliquant les relations entre géologie – architecture citadine et rurale- histoire… ou des expositions ciblées


« On protège ce que l’on aime, on aime ce que l’on connaît, on connaît ce que l’on nous a appris »

La protection du géopatrimoine local, national ou global requiert des fonds qui sont généralement publics. Une bonne acceptabilité pour ces projets est donc, sinon un pré requis, du moins bienvenue.

Expliquer ce qu’est le patrimoine est donc un passage bien utile. Cela commence par une meilleure connaissance des sites d’une région par le public. Afin de populariser le géopatrimoine, au sens général du terme, plusieurs méthodes sont possibles : des conférences grand public, des livres destinés à un public non spécialisé, des excursions de terrain, des collections de fascicules expliquant les relations entre géologie – architecture citadine et rurale- histoire … ou des expositions ciblées …   

Selon les pays, et donc selon les cultures, les moyens spécifiques doivent être mis en œuvre. Une étude menée dans les Alpes Occidentales (Cayla 2009) a révélé que les cultures latines (Italie, France, la partie romane de la Suisse) semblent privilégier les muséums alors que la culture germanique (Allemagne, Autriche et la Suisse germanophone) préférerait des dispositifs in situ : sentiers de randonnée avec des panneaux explicatifs (Tableau 1).


1. Au niveau international :

L’Union Internationale des Sciences Géologiques (IUGS) s’est intéressée à la notion de Geosites dès 1994 sans effet majeur. L’ambition était alors d’impliquer toute la communauté géologique pour promouvoir la protection de sites à fins de recherche et d’enseignement. En 1995, l’IUGS s’associe à l’UNESCO pour la réalisation d’une base de données par un groupe de travail sur les géosites globaux (Global Geosites Working Group) dont le cahier des charges était la sauvegarde des sites de valeur internationale mais aussi de soutenir les efforts nationaux et régionaux, notamment au travers de par des  réunions avec le mouvement associatif et enfin de servir de référent et conseils auprès des instances de l’IUGS et de l’UNESCO. Ce travail devait se faire en association avec le groupe ProGEO, mais après quelques années la collaboration s’est éteinte vers 2002-2003. Par la suite l’Union Internationale des Sciences Géologiques (IUGS) a organisé un groupe de travail Geoheritage dédié au géopatrimoine, Geoheritage Task Group, dont le lancement a été officialisé en novembre 2010. L’un des objectifs du groupe de travail est d’alimenter une base de données de géosites internationaux et de mettre à la disposition de la communauté internationale, la réglementation qui a cours dans chacun des pays.

La base sur les géosites avait été initiée dès 1994 mais, entre le début de l’opération et 1998, sur les 310 sites répertoriés seuls 120 avaient des coordonnées géographiques,. Cette base n’a plus été alimentée pendant une quinzaine d’années. Un nouveau départ a été donné à partir de 2011 et aujourd’hui ces sites sont accessibles sur un site WEB : http://geoheritage-iugs.mnhn.fr/ . 

Fig 1. Logo du « Geoheritage Task Group » de l’IUGS.

Les géosites identifiés et validés en France au niveau national dans le cadre du programme d’inventaire national, et considérés de valeur internationale, pourront, par exemple, être transférés dans cette base internationale. Comme le seront ceux qui sont déjà identifiés dans d’autres pays (Espagne, Pays-Bas …), ce qui évitera que les travaux d’évaluation et de report soient doublonnés ou triplés (si les niveaux nationaux, européens ou internationaux sont identifiés).

On a vu qu’au niveau européen exitait un groupe ProGEO dont le but essentiel est la conservation. Mais ProGEO s’intéresse aussi à la diffusion de données patrimoniales, à conseiller le public national et européen pour les aspects de protection dans un cadre global de la nature. Ils font éditer chez Springer une revue éditée intitulée « Geoheritage » (Photo 1) et un livre présentant le géopatrimoine et sa conservation en Europe a été publié en 2012.

 

Photo 1. Couverture de la revue Geoheritage editée par Springer depuis 2009.

 

Il est enfin intéressant de préciser que selon les pays, et donc selon les cultures, des moyens spécifiques sont mis en œuvre. Une étude menée dans les Alpes Occidentales (Cayla 2009) a ainsi révélé que les cultures latines (Italie, France, la partie romane de la Suisse) semblent privilégier les muséums alors que la culture germanique (Allemagne, Autriche et la Suisse germanophone) préférerait des dispositifs in situ : sentiers de randonnée avec des panneaux explicatifs (Tableau 1).

 

MUSÉE MUSÉES (%)

SENTIERS (%)

France 52 48
Italie 54 46
Slovénie 62 38
Suisse 50 50
Allemagne 11 89
Autriche 33 67

Tableau 1 Diversité des approches pour la diffusion selon les pays (culture) alpins (adapté de  Cayla 2009).

 

A titre d’illustration de la variété des outils qui peuvent être utilisés pour faire connaître le patrimoine géologique nous présentons, dans les lignes qui suivent, des exemples réalisés en France

 


2. AU NIVEAU NATIONAL :

Beaucoup de sites ont été détruits par la simple ignorance des décideurs de ce qu’ils représentaient. La loi de 2002 (voir Photo 2) impose la réalisation d’un inventaire qui permettra de recenser les sites qui méritent notre intérêt, au niveau régional ou national. 

 

Photo 2. Ce rond-point a été installé exactement sur un emplacement disponible, en fait sur un petit lieu d’exploitation du “Falun d’Etrechy”, seulement parce que les édiles ignoraient que cette localité était un site géologique de référence, montrant des assises du stratotype historique du Stampien.  (photo © P. De Wever)

Les données de l’inventaire, disponibles sur un site web (INPN = Inventaire National du Patrimoine Naturelhttp://inpn.mnhn.fr/. ), permettent aussi d’ alimenter une base dédiée à l’enseignement, en particulier à l’enseignement secondaire afin d’offrir aux enseignants  un moyen efficace de monter des excursions géologiques avec leurs élèves grâce à des sites regroupés dans la « lithothèque nationale » : (Photo 3).

 

Photos 3. Page de garde d’un site Web relatif aux géosites et dédié à l’enseignement, appelé « lithothèque » sur le site de l’Education nationale (EducScol)

(http://eduscol.education.fr/svt/enseigner/ressources-et-usages-numerique...). Ces produits utilisent aussi le support Google Earth et sont disponibles sur tablettes numériques. 

Photo 4 Une des pages web d’une région (exemple pour la région concernant le Stampien.

Lors de l’année internationale de la planète Terre en 2008, la France avait choisi la diffusion, comme l’un des thèmes forts. Le résultat fut un révélateur pour beaucoup de collègues : plus des deux-tiers des projets retenus par le comité français concernaient le géopatrimoine. Le géopatrimoine intéressait donc !

Plusieurs livres destinés à une sensibilisation à la géologie et au patrimoine géologique ont déjà été publiés par différents éditeurs, avec différents formats. Récemment, plusieurs  collections ont été lancées : Stratotypes, Balades géologiques, Géotourisme, Guides géologiques.

 

2.1. LA COLLECTION « STRATOTYPES » :

L’échelle géologique est basée sur la notion de stratotype. La France en compte plus de 40 et, même si certains d’entre eux ne présentent plus qu’un intérêt historique, les stratotypes constituent de bons supports pour aborder la notion de patrimoine géologique auprès d’un large public. Ils permettent d’expliquer la paléontologie, la sédimentologie, l’importance du temps en géologie... la plupart des concepts utilisés en géologie.

Le Muséum national d’Histoire Naturelle a lancé une collection intitulée «Patrimoine géologique. Stratotypes» en 2008, éditée par le Muséum national d’histoire naturelle, Biotope. L’objectif est de consacrer un volume à chaque stratotype. Destinée à un large public, la collection a pour objectif d’expliquer ce qu’est un stratotype, à savoir un étalon scientifique de valeur internationale qui, à ce titre, mérite conservation et protection et, ainsi, de faire prendre conscience au lecteur de la valeur de son patrimoine. Chaque ouvrage retrace l’historique des travaux consacrés à cet intervalle de temps, rassemble les données géologiques sur cet étage. Il présente aussi l’influence de ce patrimoine géologique sur les activités humaines (pratiques agricoles et industrielles, architecture, constructions, sculpture ...). Dans la mesure du possible, l’ouvrage recense les collections associées à cet étage (contenu, abondance, lieux de conservation), soulignant que le patrimoine géologique couvre aussi bien les objets in situ que les objets ex situ (Photo 4). Quatre volumes sont aujourd’hui publiés : Lutétien, Albien, Hettangien et le Stampien. Plusieurs autres sont en cours, dans un état d’avancement variable : Aquitanien, Aptien, Barrémien, Givétien, Autunien, Turonien, Berriasien, Briovérien, Cénomanien, Danien, Sinémurien, Sparnacien et Toarcien.

 

Photo 4. Couverture de volumes de la collection « Patrimoine géologique. Stratotypes » Lutétien (coord. Merle, 2008), Albien (coord. Colleté, 2010), Hettangien (coord.  Hanzo 2012) et Stampien (coord.  Lozouet, 2012).
 

2.2. LA COLLECTION « BALADES GÉOLOGIQUES » :

La géologie est souvent perçue comme une discipline austère et difficile, parfois même rébarbative.

Pour faire changer cet état d’esprit, nous avons créé une collection de fascicules décrivant des circuits géologiques en ville qui montrent les relations entre les roches, l’architecture, l’aménagement de la ville, son histoire et qui cherchent à associer l’art et la science. Le but est de démontrer que, tout comme l’art, la science appartient à la culture. Généralement cette approche rencontre beaucoup de succès.

Le projet couvre toute la France et associe le Muséum national d’histoire naturelle, la Société géologique de France et Biotope . Plusieurs villes ont déjà été traitées : Etampes, La Rochelle, Milly-la-Forêt, Bordeaux, Fréjus, Chambéry, Dourdan, Lille, Fougères, Brest, Niort, Lyon et Paris ; une vingtaine d’autres sont en cours de rédaction (en plus de Paris qui fera l’objet de plusieurs fascicules) (Photo 5).

Les promenades géologiques en ville sont de bons outils pour sensibiliser le public à la géologie. 

 

Photo 5. Exemples de promenades géologiques : Etampes (Billet et al., 2008), Bordeaux (Caro et Mulder, 2010), Milly-la-Forêt (De Wever et al., 2009), Brest (Jonin et al., 2012).

 

2.3. LA COLLECTION « GUIDE GÉOLOGIQUE » :

Cette collection, co-éditée par Omniscience et le BRGM, a été lancée 2011 et comprend à ce jour 3 titres : Jura (2011), Auvergne (2012), Ardèche (2012), et quatre autres sont en préparation: Bassin de Paris, Bretagne, Mercantour et Vercors. Dans chaque volume sont présentés 10 itinéraires de découverte, sélectionnés pour leur originalité et leur accessibilité.

 

2.4. COLLECTION CURIOSITÉS GÉOLOGIQUES :

Cette collection, coédition Apogée – BRGM, lancée en 2010, comprend cinq titres à ce jour : Trégor Goëlo (2011), Crozon (2010), Guadeloupe (2011) Pays bigouden (2011), et Aunis-Saintonge (2013). Les ouvrages présentent des sites. Parfois la première partie est consacrée à la chronologie des roches et phénomènes et la deuxième partie de l'ouvrage propose au lecteur passionné de découvrir ou redécouvrir des sites géologiques remarquables lors d’itinéraires jalonnés « d'arrêts sur images ».

 

2.5. LA COLLECTION « GÉOTOURISME » :

La collection Géotourisme, co-editée par la SGMB et Biotope met le patrimoine géologique à la portée d’un large public. Sur une sélection de sites sont décryptées la mémoire des roches et la formation de quelques paysages. L’accès aux sites, ainsi que les itinéraires sont précisés au moyen d’extraits de carte IGN au 1/25 000.

Trois numéros sont sortis : Géotourisme en Finistère, en Ille–et-Vilaine et en Côtes d’Armor.

 

Photo 6. Collection “Géotourisme” de petits livres qui présentent les géosites par département. Ici les Côtes-d’Armor (Graviou, 2012)

 

2.6. Via GeoAlpina :

Dans la nature, les sentiers géologiques ou les « géoroutes » permettent d’accéder à la géologie in situ à différentes échelles : sur des distances parcourues à pied ou en voiture. Plusieurs routes ont été aménagées avec cet objectif : la Route géologique transpyrénéenne et la Via GeoAlpina. . 

Ce projet, de grande envergure, a été initié par l’IUGS et l’UNESCO dans le cadre de l’Année internationale de la Terre. Il rassemble des organisations appartenant à 6 pays alpins (Autriche, France, Allemagne, Italie, Slovénie et Suisse) (www.viageoalpina.org). Cette Via GeoAlpina se développe le long de la Via Alpina, un itinéraire de randonnée pédestre traversant tous les pays de l’arc alpin de Trieste à Monaco. Il vise à développer et étendre la connaissance de la géologie, de la géomorphologie, l’hydrologie, des risques naturels et des utilisations des matériaux. Tout en marchant le long de sentiers balisés, les touristes et les randonneurs sont informés de l’histoire de la formation des Alpes et des secrets de la planète Terre. 

 

2.7. Route géologique transpyrénéenne :

 

Photo 7. Couverture du livret-guide de la Route Géologique Transpyrénéenne
 

Cette route géologique, réalisée par des associations française (GéoVal) et espagnoles (GeoAmbiente et GeoTransfert), traverse les Pyrénées et propose la découverte de la géologie de la vallée d’Aspe et du Haut-Aragon. Elle s’étend sur plus de 200 km et comporte 25 arrêts aménagés avec des panneaux explicatifs ( Photos 7 et 8).

 

Photo 8.  Un exemple de panneaux explicatifs qui jalonnent la Route Géologique Transpyrénéenne
 

Conclusion :

En dépit d’un intérêt ancien pour le patrimoine (paradoxalement depuis la Révolution et ses ravages) et pour le géopatrimoine (premier inventaire de 1913 par Martel), ce sujet a souvent été peu considéré, voire mal considéré par la communauté des géosciences, au moins en France. Seules quelques personnes ou quelques structures se sont intéressées à la connaissance du patrimoine géologique et à la géoconservation. Ce fut en particulier le cas des Réserves Naturelles de France. Un des fleurons fut la réunion qu’elles organisèrent à Digne-les-Bains dans la réserve en 1991 (Actes du premier colloque …, 1994.) sous le haut patronage de l’UNESCO, parfaitement internationale donc, au cours de laquelle fut proclamée la Déclaration Internationale des Droits de la Mémoire de la Terre » (ibid.).  Depuis d’autres initiatives ont suivi les premières journées nationales du patrimoine géologique tenues dans les locaux du Ministère de l’Environnement à Paris, en 1997, Fröhlich et al., 1998). Presque en même temps, le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a montré son intérêt en acceptant un Plan Pluriformation « Patrimoine géologique national », devenu aujourd’hui une ASM (Action Structurelle du Muséum).

Plus récemment un regain d’intérêt a été déclenché par la publication de la Loi de Démocratie de proximité il y a une décennie, en imposant notamment la nécessité d’un inventaire.

 

DE WEVER, Patrick, CORNÉE, Annie, EGOROFF, Grégoire

MNHN, Paris, France


Pour aller plus loin

 

Billet G., Bonnefoy B., De Wever P., Houssaye A., Merle D. (2008) Promenade géologique à Etampes. Mèze, Biotope – Paris, MNHN,– Orléans, BRGM, (Collection Balades géologiques), 28 pages.

Caro M., Mulder T. (2010) Promenade géologique à Bordeaux. Mèze, Biotope – Paris, MNHN,– Orléans, BRGM, (Collection Balades géologiques), 36 pages.

Cayla N. (2009) Le patrimoine géologique de l’arc alpin. Thèse Université de Chambéry, 303 pages.

De Wever P. Merle D., Bonnefoy B., Billet G. (2009) Promenade géologique à Milly-la-Forêt. Mèze, Biotope - Paris, MNHN - Orléans, BRGM, (Collection Balades géologiques), 28 pages.

Egoroff G., De Wever P. Merle D., Métivier B. (2011).- Promenade géologique à Dourdan. Mèze, Biotope - Paris, MNHN  (Collection Balades géologiques), 34 pages

Egoroff G., De Wever P., Cornée A., Monod K. (2011).- Du Grenelle 1 à la protection du Patrimoine Géologique. Géochronique, 119, 17-19.

Fröhlich F., Lorenz J. et Cornée A. (1998).- Actes des Journées nationales du patrimoine géologique, Paris, 18/19 Nov. 1997. Pub. MNHN et AGBP, 1998, 72 pages.

Graviou P. (2012) Géotourisme en côte d’Armor. Coll. Géotourisme, SGMB/BRGM, Ed. Biotope/SGMB, 96 pages.

Jonin M., Chauris L., 2012. Promenade géologique à Brest. Mèze, Biotope - Paris, MNHN, (Collection Balades géologiques), 34 pages.

Martel E. A. (1913). La question des parcs nationaux en France. Comment et pourquoi créer les parcs nationaux. In. La Montagne. Revue mensuelle du Club Alpin français. Aout 1913, 24 pages.

Pecquet D. (2013).- Valorisation de l’inventaire du patrimoine géologique dans les espaces naturels sensibles. In Egoroff et al. (2013), Actes du colloque « Géopatrimoine, un lustre d’inventaire en France », 10-12 octobre 2012.- Digne-les-Bains.- Mém. H.S. Soc. Géol. Fr., 13, 218 p., pp. 124- 127. 


Ce texte reprend pour partie la publication téléchargeable ci-dessous :


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