Pas plus que d’autres domaines, l’éducation ne peut échapper au processus de mondialisation. S’il s’agit d’une question politique à forte charge idéologique nous ne pouvons néanmoins pas ne pas souligner le lien direct entre l’émergence de la question locale et le-dit processus de mondialisation. La mondialisation introduit le paradigme néolibéral en même temps qu'une forte dimension ascendante burocratico-évaluatrice destinée à favoriser l’application des textes. Il y a donc une ascendance du global qui se diffuse via les échelons administratifs étatique vers le local, en même temps que se mettent en place les procédures de contrôle. L’OCDE par exemple, largement liée à la sphère économique, détermine les orientations éducatives mondiales et établit par là même un système de valeurs et de normes, réduisant du même coup la diversité des procédures et principes éducatifs.

Ainsi, le système mondialisé aurait une nette tendance à l’uniformisation (Carpentier, 2012). Le fonctionnement actuel des systèmes éducatifs ainsi que l’émergence des éducations à... se placent dans ce cadre, par exemple avec la décennie de l’éducation au développement durable (2004-2014) mise en place par l’UNESCO en tant qu’agence d’exécution de l’ONU, ou encore via les conventions 1972, 2003, 2005 sur le patrimoine et ses composantes éducatives.


LA REVALORISATION DU LOCAL EN ÉDUCATION ET ÉDUCATIONS À...

Ce système qui tend à l’uniformisation, présente pourtant un paradoxe. En effet, dans un système de compétition mondiale qui positionne chacun en terme d’avantages comparés, les individus, les lieux, les territoires doivent se démarquer les uns des autres : avoir une identité propre, une image valorisée et des atouts spécifiques permet de se positionner dans cet ensemble mondialisé et donc de faire face à la compétition. Il y a donc, allant de pair avec la tendance à l’uniformisation, une revalorisation de l’individu (aux sens restreint et large du terme) et donc du local. En toile de fond, l’initiative individuelle, qui peut s’entendre à l’échelle d’un territoire, très encadrée dans un système de normes et d’injonctions, est fortement valorisée. Dans ce cadre, le local est le maillon qui permet de mobiliser les acteurs politiques, lesquels déclinent, avec des adaptations, les politiques internationales dans tous les échelons administratifs. L’éducation suit ce mouvement de fond et cela explique le retour récent de la dimension locale et des particularismes locaux dans les sphères éducatives. Au-delà de ces constatations, il est parfois considéré que l’échelon local est également celui où peuvent s’opérer des formes de démocratie ou de résistance face aux politiques globales, ou plus simplement le lieu où la reconnaissance des besoins locaux est prise en compte (par référence aux parcours éducatifs par exemple). La reconnaissance de la diversité et de l’identité individuelle et collective est d’ailleurs identifiée à l’heure actuelle comme un défi récent dans les politiques territoriales d’éducation (Garnier, 2014).

 

Le local et les déclinaisons de sa revalorisation (langues régionales, patrimoines immatériels locaux, identités culturelles) sont donc une nouvelle donne à prendre en compte que l’éducation peut aider à faire émerger. L’éducation peut ainsi être considérée comme un maillon indispensable de la reconnaissance des citoyens dans leurs diversités. Mais il est aussi possible de considérer que le local correspond à l’échelle privilégiée dans les tâches assignées au nouveau management public (Rumpala, 2010), dont la fonction première est de mettre les institutions socialisées (et d’abord l’instruction) au service, entre autre, des besoins immédiats de l’économie. L’éducation serait alors instrumentalisée et pourrait constituer un chainon indispensable de la valorisation économique des territoires. C’est toute l’ambiguïté des éducations à..., qui posent pleinement la question des valeurs et des finalités éducatives qui les sous-tendent.

 

Quoi qu’il en soit, une nouvelle mention est faite de facto aux territoires qui portent matériellement ce local revalorisé. Ce lien se construit progressivement depuis le début des années 1970 au sein de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), puis plus spécifiquement dans l'enseignement agricole dans les années 1990, avant de se diffuser dans l’enseignement général. Cela va de pair avec la construction de plus en plus prégnante d'une offre de formation territorialisée et avec l’affirmation de la participation des établissements en tant qu'acteurs au développement local (institutionnalisée par la loi Rocard). Après les années 2000, les éducations à... marquent une étape supplémentaire et servent de justification et de cadre institutionnel à l’introduction de curriculums locaux. Ainsi aujourd'hui le local n’est plus vu uniquement comme un contexte, mais il devient un acteur éducatif en ce sens qu’il est susceptible d’influer sur certains curriculums (Barthes & Champollion, 2012). Ce renouvellement de logiques éducatives, que cristallise le concept de « local », constitue un processus nouveau, à peine appréhendé à l’heure actuelle par les sciences de l’éducation, mais qui trouve une expression bien marquée dans la cadre des  éducations à...


ÉCHELLES D’ACTIONS LOCALES, ÉTABLISSEMENTS ET ÉDUCATIONS À...

Un débat existe cependant chez les chercheurs sur la valeur sociétale à donner à la revalorisation du local. Pour certains, il s’agit de l’échelle d’application des injonctions internationales et étatiques (Girault & Sauvé, 2008 ; Bader & Sauvé, 2011) ; pour d’autres il s’agit d’un espace de reprise en main politique de l’éducation par les collectivités locales et la société civile (Ben Ayed, 2009). De la même manière, l’échelon national est considéré comme un relais fort des politiques internationales (Barthes & Jeziorski, 2012), comme un référent en déclin face à la question locale (Ben Ayed, 2009), ou encore comme se rapprochant de ses usagers de manière à leur offrir une plus grande proximité décisionnelle (Condette, 2015). Quoi qu’il en soit, les associations de proximité et les « projets de territoire » locaux s’engagent aujourd'hui de plus en plus dans des actions partenariales avec les écoles sur la base de la valorisation du local. Ces dispositifs s’insèrent souvent dans les éducations à..., lesquelles servent de point d’appuis partenariaux thématiques et non disciplinaires aux acteurs locaux.

 

Le local cristallise donc les enjeux des nouveaux cadres d'action publique et amorce la constitution d'un nouveau réseau d'acteurs qui se structure dans les faits sur le principe d’un transfert de responsabilité de l’État vers les acteurs de terrain, impliquant largement la sphère éducative. Les établissements éducatifs sont ainsi vus plus que dans les deux dernières décennies, comme des acteurs du développement territorial, et sont alors considérés à la fois comme légitimateurs d’action éducative, garants d’utilité publique et facilitateurs d’obtention de financements. Cela se traduit potentiellement par de nouvelles formes éducatives dans les milieux scolaires et universitaires. La revalorisation du local donne de fait un véritable coup de fouet au rôle d'acteur du développement territorial des établissements, tels que les réseaux d’écoles, les lycées agricoles, les IUT, ESPE, GRETA, lesquels jouent un rôle moteur dans la diffusion des éducations à... d’autant plus qu’ils bénéficient souvent une structure multi-sites et généralement d’une forte proximité avec les institutions locales. En effet, le territoire local constitue l’espace construit au sein duquel peut se réaliser la contractualisation du partenariat avec l’éducation en particulier dans le cadre favorisant des éducations à...

 

Les rapports entre collectivités locales, associations et universités se déclinent avant tout dans des termes financiers. Ce financement des associations par les collectivités locales autour de projets d’éducation (au développement durable, au patrimoine, au territoire…) correspond à un changement de régulation de l’action publique. Souvent l’élaboration pédagogique émane de l’association locale puis est relayée dans les classes. Renvoyant aux principes de management participatif, ces projets sont censés dynamiser les équipes enseignantes et impulser des projets au bénéfice des élèves, mais cela n’est pas, comme le précise Condette (2015), sans poser des difficultés organisationnelles aux chefs d’établissements « au cœur des tensions », ni sans poser de problèmes éthiques de légitimité face aux enseignements disciplinaires (Alpe, 2006). Ces changements à l’échelle locale transforment les pratiques professionnelles enseignantes avec des postures d’acceptation, de résignation ou de résistance, et les conceptions du local varient chez les enseignants avec l’impression soit d’agir sous contrainte institutionnelle et politique forte soit de participer à un mouvement de démocratisation et de créativité de la société civile.

 

BARTHES, Angela

Université Aix-Marseille, Marseille, France

Extrait de: 

Barthes A. (2017).Local. In Barthes, A. Lange, J-M. et Tutiaux-Guillon N. (dir.) (2017). Introduction.  Dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à, L’Harmattan, Paris, 617 


Pour aller plus loin

ALPE, Y. (2006). Quelle est la légitimité des savoirs scolaires. In A. Legardez & L. Simmoneaux. (dir.). L’école à l’épreuve de l’actualité. Enseigner les questions vives. (p.233-246). Paris : ESF.

BADER, B., SAUVÉ, L. (2011). Éducation, environnement et développement durable : vers une écocitoyenneté critique. Québec : Presses de l'université Laval.

BARTHES, A., CHAMPOLLION, P. (2012). Éducation au développement durable et territoires ruraux, Problématique, projet de territoire et réduction fonctionnelle de l’enseignement. Éducation Relative à l'Environnement : Regards – Recherches – Réflexions. Vol.10., 36-54

BARTHES, A., JEZIORSKI, A. (2012). What kind of critical university education for sustainable development? A comparative study of European students and social representations. Journal of Social Science of Education. Vol. 11/4, 405-417.

BEN AYED, C. (2009). Le nouvel ordre éducatif local, Mixité, disparités, luttes locales. Paris : PUF.

CARPENTIER, C. (2012). L’éducation face au défi de la globalisation : entre local et global. Carrefours de l’éducation. N°34, 7-13

CONDETTE, S. (2015). Du global au local. Le chef d’établissement au cœur des tensions. Diversité. N°181, 44-51.

GARNIER, B. (2014). Territoires, identités et politiques d’éducation en France. Carrefours de l’éducation. N°2/38, 127-157

GIRAULT, Y., SAUVÉ, L. (2008). L’éducation scientifique, l’éducation à l’environnement et l’éducation au développement durable, croisements, enjeux et mouvances. Aster. n°46, 1-21.

RUMPALA, Y. (2010). Développement durable ou le gouvernement du changement total. Lormond : Ed. le bord de l'eau.


Pour citer ce texte: Barthes A. (2017).Local. In Barthes, A. Lange, J-M. et Tutiaux-Guillon N. (dir.) (2017). Introduction.  Dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à, L’Harmattan, Paris, 617 p

 

Ce texte reprend pour partie la publication téléchargeable ci-dessous :


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