L’éducation des habitants et visiteurs du territoire est l’une des missions principales des géoparcs. Cette fonction éducative peut s’adresser aux habitants et touristes, et dans ce cas elle privilégie des activités d’interprétation du milieu naturel, des visites de musées, et des activités géotouristiques… La fonction éducative des géoparcs s’applique également aux publics scolaires issus de classes des écoles primaires, secondaires ou des lycées. Cet enseignement, qui est qualifié d’enseignement formel, tout en dépendant des programmes scolaires nationaux résulte également des préconisations de l’UNESCO en vue de la prise en charge des enjeux environnementaux globaux.


Nous assistons en France et dans la sphère francophone depuis le début des années quatre-vingt à l’émergence de nombreuses formes d’éducations à... (Développement durable, santé, citoyenneté, solidarité internationale, médias et information, patrimoine…), lesquelles sont sources de nouvelles problématiques et questionnements pour le champ des études curriculaires, en même temps que d'interrogations pour les praticiens. Elles s’inscrivent dans le contexte de la mondialisation et résultent des préconisations des instances internationales (UNESCO, UNECE…) en vue de la prise en charge des enjeux globaux – enjeux et défis planétaires, inégalités sociales, environnementales et de santé, enjeux et défis de gouvernance et de démocratie. Cette situation conduit les chercheurs en éducation à questionner ces nouvelles prescriptions, à problématiser leur place dans les curricula et les systèmes disciplinaires, à apporter des étayages aux réflexions des enseignants et des formateurs. Les éducations à... sont ainsi investies comme objets de recherche et de réflexion professionnelle.

Ces éducations à... se situent à la fois dans la continuité des « actions éducatives » scolaires et en rupture avec cette tradition (Lebeaume, 2012). Continuité, parce qu’elles existent sous des formes historiquement diversifiées depuis l’origine de l’enseignement général et obligatoire, notamment sous la forme d’une éducation hygiéniste et morale, d'un traitement des questions d’environnement et de nature, et plus largement en lien avec le projet d'une École qui éduque le peuple : longtemps elles sont présentes au primaire[1]. Rupture, parce qu’elles se formalisent en tant que telles, et ne se cantonnent plus au seul ordre scolaire. Elles s’inscrivent dans un contexte mondialisé caractérisé par de fortes pressions économiques sur le monde éducatif. Elles peuvent être donc perçues comme en étant la résultante et l’instrument. Mais elles s’inscrivent aussi dans une perspective affichée de socialisation démocratique (Vincent, Courtebras & Reuter, 2012). Elles accompagneraient alors les mutations récentes de l’éducation et porteraient le projet d’une éducation globale en conjuguant notamment des dimensions sociales, cognitives, affectives et éthiques, ce que certains qualifient a minima de postmoderne car en rupture avec une centration sur la seule question des savoirs (Pourtois & Desmets, 2002 ; Pourtois & Demonty, 2004). Dans tous les cas, elles sont un marqueur des modifications de logiques et paradigmes éducatifs (Barthes & Alpe, 2012).

L’émergence contemporaine des éducations à... pose la question de leur acceptabilité et de leur orientation par les acteurs du système éducatif. Elles ne possèdent pas, dans leurs formes a-disciplinaires, les caractéristiques institutionnelles des disciplines scolaires ; elles ne visent pas un « enseignement de » (Lebeaume, 2012) : les savoirs académiques y sont apparemment seconds ou marginaux, alors qu'ils sont en principe les référents des disciplines, même composites comme par exemple le Français[1]. Même lorsqu'elles semblent s'ancrer dans les sciences, la légitimité académique des savoirs de références des éducations à... ne va pas de soi. Ceux-ci sont constitués de multiples éléments, empruntant à de nombreux domaines scientifiques ou non, sans articulation bien définie, et non stabilisés : il n’y a donc pas de matrice conceptuelle, et, pour utiliser le vocabulaire de la sociologie des sciences, pas de constitution paradigmatique du champ, celui-ci étant l’objet d’affrontements pour en définir l’orientation dominante. De surcroît qu'il s'agisse de références aux sciences de la nature, aux sciences sociales ou aux sciences de l'homme, les éducations à... ont toujours une connotation idéologique forte, voire sont essentiellement fondées sur un contenu politique[2]. Et il ne s’agit pas non plus d’éducation au sens où on l’entendait il y a un siècle, car on considérait alors que l’éducation résultait de l’instruction, dans une approche classique du positivisme philosophique et politique. De ce point de vue, les éducations à... correspondent à un rôle de l’École, déjà ancien pour le primaire mais réaffirmé pour le secondaire dans de nombreux pays, en particulier anglo-saxons : l'école socialise l'individu en prenant en charge sa formation cognitive mais aussi émotive et morale, afin qu'il s'épanouisse et s'investisse dans la construction d'un monde meilleur en s'appuyant sur des apprentissages qu'il peut et doit connecter à sa vie[1] (Lessard, 2012).

 


Un examen des traits communs aux éducations à... en fait apparaître quatre caractéristiques principales:

  • Elles sont thématiques (l’environnement, la santé…) et relatives à des questions, enjeux, voire défis sociétaux, et donc non disciplinaires par nature, ce qui les distingue du modèle standard des contenus scolaires. Cette caractéristique a plusieurs effets : permettre leur prescription même là où la structure disciplinaire n'existe pas (le préscolaire par exemple) ; compliquer le rapport qu'elles peuvent entretenir avec les disciplines ; favoriser l'intervention d'acteurs non scolaires ; substituer une approche pluri-catégorielle au monopole de l’École…
  • Elles sont en relation étroite avec des questions socialement vives (Legardez & Simonneaux, 2011) parce qu’elles sont censées apporter des solutions à des problèmes que les sciences et les pratiques sociales usuelles ne peuvent suffire à résoudre et qu'elles ont de forts enjeux sociopolitiques. Elles répondent à une demande sociale d’éducation focalisée sur des problèmes que se pose la société. Elles sont du coup sujet à débat, et peuvent rencontrer l'opposition ou la frilosité des différents acteurs, enseignants et élèves compris. En effet ces questions sont aussi prises en charge par les médias et la sphère politique – par exemple sur les changements climatiques ou les OGM – ce qui induit des pressions sociales et médiatiques pouvant prendre le pas sur les débats scientifiques et concurrencer la parole enseignante. Plus profondément encore, les discours largement diffusés peuvent l'être sous influence de lobbys, visant à instaurer le doute, comme cela a été largement démontré sur la question du tabagisme ou du sucre dans l’alimentation...
  • Elles accordent une place importante aux valeurs aux dépens, au moins apparemment, de certaines catégories de savoirs ; elles portent ainsi des contenus que les enseignants maitrisent variablement et trouvent inégalement légitimes d'enseigner à l’École ; elles posent la question des pratiques pertinentes pour ces apprentissages dès lors qu'on ne veut les réduire ni au modèle à imiter ni à des bonnes pratiques. Mais on peut aussi interroger la relation entre les valeurs qu'elles préconisent et celles qui sont intriquées dans la société, la culture, la vie politique dominantes.
  • Elles ont comme objectif, généralement explicite, de faire évoluer des comportements ou du moins les attitudes. Elles ne peuvent se développer qu'avec des pratiques impliquant les élèves, ce qui peut mettre en cause les fonctionnements scolaires usuels.

 

On voit donc qu'elles ont à la fois un statut particulier – des prescriptions aux marges des systèmes disciplinaires existant tout en ayant un caractère au moins recommandé, souvent obligatoire – et une structure qui tend à les différencier des disciplines installées pour ce qui concerne les contenus et les pratiques d'enseignement et d'apprentissage.


CECI POSE TROIS GRANDS PROBLEMES :

Dans un contexte de remise en cause de la légitimité des savoirs scolaires (Alpe, 2006), comment mettre en place une démarche éducative soit appuyée sur des savoirs de référence transversaux, incertains, et faisant l’objet de débats socio-scientifiques soit dont les savoirs de référence semblent a priori très minces (éducation au choix par exemple) ? Les systèmes éducatifs/scolaires peuvent être pilotés diversement : références aux savoirs académiques, référence au développement de l'enfant, référence aux compétences socialement attendues (Ross, 2000). Forquin (2008) a ainsi admis assez récemment l’existence de deux conceptions concurrentes de l’éducation, aux légitimités pesant inégalement dans le contexte francophone : une éducation patrimoniale, à la légitimité académique, et une éducation citoyenne, à la légitimité sociale, laissant d'ailleurs de côté dans cette analyse l'enseignement professionnel. On peut interpréter les éducations à... comme le signe d'une inflexion des références et des légitimités installées : ce n'est pas sans poser problème aux enseignants.

Comment défendre la place de ces éducations dans le système d’enseignement, face à ceux qui se proclament « naturellement » légitimes pour parler de ces questions (religions, partis politiques, associations, etc.) parce qu’ils sont précisément définis par des valeurs d’engagement ? La question est d'autant plus vive qu'elle entre en résonance avec des controverses médiatiques et politiques sur l’École qui opposent instruction (supposée être la seule mission légitime) et éducation, ou avec les inquiétudes sur le rôle de l’École dans la socialisation des élèves. D'autant plus vive aussi que les éducations à... prennent corps autant dans les éducations informelles que dans les éducations formelles.

Enfin, d’un point de vue institutionnel et professionnel, comment (re)définir la place et le rôle de l’enseignant, en particulier dans le secondaire où il est recruté sur la base de son cursus universitaire disciplinaire, spécialisé, expert, légitime car institutionnellement certifié et… passionné de son domaine ? Il lui est d'autant moins aisé d'accepter de se situer dans une démarche qui l'oblige à sortir du rapport à sa discipline construit dans la durée. Lorsqu'il se sent en charge d'apprentissages fondamentaux – comme ce peut être le cas au primaire – il privilégie souvent ceux-ci sur tout ce qui peut lui sembler certes plaisant et intéressant mais finalement périphérique au regard du lire-écrire-compter. Et de quelles ressources pourrait-il disposer ? En outre la plupart du temps sa déontologie spontanée, souvent naïve, lui interdit d’influencer des comportements voire de transmettre explicitement une vision du monde et de la société, ce qu'il associe à de l'endoctrinement.

 

[1] Rappelons qu'initialement le primaire est un ordre complet qui se clôt par le certificat d'études ou le brevet (pour le primaire supérieur) et non le premier niveau scolaire avant le secondaire.

[2] On peut noter pour la France le cas spécifique de l'éducation physique qui existait sous diverses formes indépendamment de savoirs universitaires de référence ; mais justement l'existence de la discipline scolaire a légitimé la naissance des sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) dans les universités à partir de 1968.

[3] Bien entendu les disciplines scolaires ont aussi des contenus idéologiques ou dont la fonction est politique, puisque tout projet d'instruction est un projet de société... Mais c'est plus ou moins apparent ou sensible selon les disciplines et souvent tacitement considéré comme normal.

[4]C'est bien dans ce type d'approche que s'inscrit l'Enseignement Moral et Civique prescrit en France depuis 2015.

 

BARTHES, Angela[1], LANGE, Jean-Marc[2], TUTIAUX-GUILLON, Nicole[3]

1: Université Aix-Marseille, Marseille, France

2: Université de Montpellier, Montpellier, France

3: Université Charles-de-Gaulle - Lille 3, Lille, France


Pour aller plus loin

ALPE, Y. (2006). Quelle est la légitimité des savoirs scolaires ? In A. Legardez & L. Simonneaux (dir.). L'école à l'épreuve de l'actualité. Enseigner les questions socialement vives. (p.233-246). Paris : ESF.

BARTHES, A., ALPE, Y. (2012). Les éducations à, un changement de logique éducative. L’exemple de l’éducation au développement durable à l’université. Les éducations à, quelles recherches, quels questionnements ? Spirale. n°50, 197-209

FORQUIN, J.-C. (2008). Organisation des savoirs. In A. van Zanten (dir.). Dictionnaire de l’éducation. (p.599-603). Paris : PUF.

LEBEAUME, J. (2012). Effervescence contemporaine des propositions d’éducations à, Regards prospectifs pour le tournant curriculaire à venir. Les éducations à, quelles recherches, quels questionnements ? Spirale. n°50, 11-24.

LEGARDEZ A., SIMONNEAUX, L. (2011). Développement durable et autres questions d'actualité. Questions socialement vives dans l'enseignement et la formation. Dijon : éducagri Editions.

LESSARD C. (2012). L’École, lieu de culture : idéologies modernes et tensions autour du couple socialisation/instruction. In Y. Lenoir & F. Tupin (dir.). Les pratiques enseignantes entre instruire et socialiser. (p.105-129). Québec : Presses de l'Université Laval.

POURTOIS, J.-P., DEMONTY, B. (2004). Nouveaux contextes sociaux et croyances d’efficacité. Le sentiment d’auto-efficacité, Savoirs. Hors-série 2004/5, 148-157.

POURTOIS, J.-P., DESMET, H. (2002, 3è éd.). L’éducation postmoderne. Paris : PUF.

ROSS, A. (2000). Curriculum, construction and critique. Oxon/New-York : Routledge.

VINCENT, G., COURTEBRAS, B., REUTER, Y. (2012). La forme scolaire : débats et mise au point. Recherches en didactiques. n°13, 109-136 ; n°14, 127-144.


Ce texte reprend pour partie la publication téléchargeable ci-dessous :

 

Pour citer ce texte: Barthes, A. Lange, J-M. et Tutiaux-Guillon N. (dir.) (2017). Introduction. Dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à, L’Harmattan, Paris, 617 p. 


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Les éducations à