Un Géoparc mondial de l'UNESCO doit utiliser son patrimoine géologique, en relation avec tous les autres aspects du patrimoine naturel et culturel de la région, pour mieux faire connaître et comprendre les principaux problèmes auxquels la société est confrontée, tels que l'utilisation durable des ressources de notre planète, l'atténuation des effets du changement climatique et la crise de la biodiversité. Dans le cadre de la fonction éducative des géoparcs certains responsables proposent donc des activités en lien avec l’éducation à la biodiversité.

 

Dans le système éducatif français, l’éducation à la biodiversité (EB) est venue s’ajouter dans les années 2000 à l’éducation relative à l’environnement (ERE) et à l’éducation au développement durable (EDD), sans toutefois occuper la même place que les précédentes : s’il y a eu des tentatives de constituer l’éducation à l'environnement ou l’EDD comme des matières scolaires spécifiques (un peu comme dans l’éducation non scolaire), avec une place dans l’emploi du temps des élèves, des contenus plus ou moins précisément prescrits, et parfois même des épreuves d’évaluation (rares), il n’en a pas tout à fait été ainsi pour l’éducation à la biodiversité qui est restée dans les faits une thématique des enseignements de sciences de la vie et de la terre (SVT). Par ailleurs, hors du système scolaire, l’EB est très loin d’occuper une place équivalente à celle de l’EDD ou de l’ERE : elle y apparaît comme une partie de l’ERE.


Même s’il existe chez leurs promoteurs – et à plus forte raison chez leurs détracteurs – de profondes divergences à la fois sur les contenus et les finalités de ces éducations à... (notamment pour l’EB et l’EDD), elles partagent un certain nombre de traits communs avec la plupart des autres éducations à... : des références constantes à l’inter ou la pluridisciplinarité, une tendance à mobiliser des valeurs qui devraient orienter des comportements adaptés, généralement désignés sous le titre ambigu de « bonnes pratiques » (l’ERE en est particulièrement friande…) et la volonté affirmée de prendre en charge des questions sociales vives. Si ces traits sont généralement reconnus, voire revendiqués par les éducations à..., il n’en est pas de même pour leur particularité épistémologique : ces « éducations » reposent en effet sur des systèmes de références scientifiques problématiques, d’une part parce qu’il existe dans les champs scientifiques des controverses très actives, et d’autre part parce que l’usage qu’elles font des concepts scientifiques mériterait une vigilance épistémologique qui fait parfois défaut. Il en est ainsi par exemple de la notion de  développement durable, dont le « curriculum sournois » (Alpe, 2011) est souvent passé sous silence, et de celle de biodiversité, qui fait l’objet de nombreux débats chez les spécialistes. Le but n’étant pas ici d’analyser cette question en profondeur, mais de s’interroger sur l’éducation à la biodiversité, nous en resterons aux grandes lignes. D’un côté, on observe, notamment chez les biologistes et les naturalistes, des débats concernant l’évolution de la notion de diversité biologique pour aboutir à une conception globalisante de la biodiversité aux trois niveaux génétique, spécifique et écosystémique (Girault & Alpe, 2011), qui est celle retenue par l’UICN[1] en 1988. De l’autre, le succès de la notion – pourtant très discutée – de « services écosystémiques » a fait entrer les économistes dans l’arène, avec des problématiques concernant la valeur (au sens économique du terme) de la biodiversité et des services rendus par les écosystèmes, ou plus fréquemment encore les coûts générés pour les sociétés humaines par la dégradation de ces écosystèmes et donc des services qu’ils peuvent rendre.

 

[1] Union Internationale pour la Conservation de la Nature.


On peut donc aborder la question de l’éducation à la biodiversité sous deux angles :

  • Quelle place fait-elle, ou peut-elle faire, aux débats scientifiques sur ces notions ? L’EB se trouve souvent prise entre deux réductionnismes. Un réductionnisme biologique : on se limite aux questions relatives à la diversité biologique et à sa « réduction », considérée comme un risque majeur pour les écosystèmes – et pour l’avenir des sociétés humaines ; un réductionnisme économique : les débats autour de la biodiversité rejoignent la question classique des « ressources naturelles », et l’on s’interroge sur les effets de la perte de diversité biologique sur les variables économiques traditionnelles : les prix, les coûts, et les problématiques des externalités (par exemple dans les programmes de la série ES pour les classes de première et de terminale). Comme il n’existe pas (sauf rares exceptions) de lieux où les deux disciplines (SVT et sciences économiques et sociales (SES) dans leur version française) puissent dialoguer, les élèves sont confrontés à la difficulté de reconstruire une approche plus globale, par leurs propres moyens ou à l’aide d’adjuvants non scolaires. Il n’y a pas, au niveau de l’enseignement scolaire, de matrice conceptuelle qui puisse rendre compte des questionnements, pourtant potentiellement très riches, qui naîtraient de la rencontre des SVT et des SES sur ce sujet. Enfin, d’autres aspects de la biodiversité (esthétiques, éthiques, philosophiques…) sont de facto éliminés car ne faisant pas partie des questions traitées par ces disciplines.
  • Quelle place l’éducation à la biodiversité occupe-t-elle dans le système éducatif, par rapport aux disciplines scolaires traditionnelles, et par rapport aux éducations à..., notamment l’EE et l’EDD ? On voit sur l’exemple précédent que la place de l’EB par rapport aux disciplines scolaires est très difficile à définir, sauf à s’en tenir à la « chasse gardée » des biologistes. Les SVT et les SES abordent des thématiques qui pourraient relever d’une éducation à la biodiversité, mais par rapport à leurs préoccupations disciplinaires propres : la question de la finalité d’une véritable éducation à la biodiversité n’est pas posée. La situation est la même dans les rapports entre ERE, EDD et EB. Le statut institutionnel très faible de cette dernière la met en position de faiblesse, par rapport à des pratiques déjà anciennes, bien installées, et possédant leurs propres groupes de pression pour défendre leur champ d’action, comme le montre l’histoire compliquée du rattachement de l’EE puis de l’ERE aux disciplines scolaires : au collège et au lycée, les géographes l’ont emporté sur les biologistes. L’EDD et l’ERE définissent leurs propres objectifs (à partir de textes officiels, mais aussi de pratiques de référence), et du fait de la faiblesse signalée ci-dessus d’un objectif propre de l’EB, les questions relatives à la biodiversité sont intégrées dans l’ERE et l’EDD sans qu’il soit fait référence à la nécessité d’une nouvelle éducation à... spécifique.

S’il ne fait aujourd’hui aucun doute que les problèmes liés à la biodiversité revêtent une importance capitale pour notre avenir, on voit mal pour l’instant ce qui pourrait constituer un contenu scolaire spécifique de l’EB, dans la mesure où ces questions sont déjà traitées par ailleurs. On pourrait d’ailleurs élargir le débat : l’enjeu véritable n’est-il pas celui d’une éducation critique à la citoyenneté, centrée sur l’acquisition de méthodes de raisonnement, de pratiques de l’échange et du débat argumenté, et par là même sur la compréhension des grands enjeux sociopolitiques et économiques de demain ?

 

ALPE, Yves

IUT de Provence, Aix en Provence, France

Extrait de : Alpe Y. (2017). Education à la biodiversité. In Barthes, A. Lange, J-M. et Tutiaux-Guillon N. (dir.) (2017). Introduction.  Dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à, L’Harmattan, Paris, 617p


Pour aller plus loin

ALPE Y. (2017). Education à la biodiversité. In Barthes, A. Lange, J-M. et Tutiaux-Guillon N. (dir.) (2017). Introduction.  Dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à, L’Harmattan, Paris, 617p

ALPE, Y. (2011). Le curriculum sournois du développement durable. In B. Bader & L. Sauvé (dir.). Éducation, environnement et développement durable : vers une écocitoyenneté critique. (p.103-122). Québec : Presses de l’Université Laval. TÉLÉCHARGER

ALPE Y., GIRAULT Y. (2013). Les programmes de sciences économiques et sociales permettent-ils de comprendre les enjeux actuels de la gestion de la biodiversité ? In Lange J.M. (Eds) Penser l’éducation, numéro Hors Série, L’éducation au développement durable, appuis obstacles à sa généralisation hors et dans l’école, pp.65-91.

GIRAULT, Y., ALPE, Y. (2011). La biodiversité, un concept hybride entre sciences et gouvernance. In A. Legardez & L. Simonneaux (dir.). Développement durable et autres questions d’actualité. (p.385-401). Dijon : éducagri Editions. TÉLÉCHARGER

GIRAULT Y., QUERTIER E., FORTIN-DEBARD C., MARIS V. (2008) L’éducation relative à l’environnement dans une perspective sociale d’écocitoyenneté. Réflexion autour de l’enseignement de la biodiversité. L'Encre Verte, n° 48, pp 18-21. TÉLÉCHARGER


Séminaire sur la sensibilisation à la biodiversité

Le concept de biodiversité va bien au-delà de la description de la diversité du vivant. C'est un sujet très vif, objet de controverses au cœur d'un débat public qui implique tout autant le champ politique, économique et social.

Comment, dans ce contexte, sensibiliser ou éduquer à la biodiversité ?

Pour clore quatre années de coopération scientifique avec le Muséum National d'Histoire Naturelle, le Conseil Général du Territoire de Belfort organisait les 23 et 24 octobre 2011, un séminaire sur la sensibilisation à la biodiversité. Trois chercheurs, Donato Bergandi, philosophe spécialiste de l'éthique environnementale, Yves Alpe, économiste et sociologue et Yves Girault, biologiste et didacticien, ont fait le point sur les enjeux les plus récents de ce sujet. Ils étaient associés à quatre témoins issus de différentes régions françaises qui ont présentés des projets innovants sur ce sujet. L'objectif de cette rencontre qui a rassemblé au Malsaucy, une cinquantaine de professionnels et de chercheurs venus de France et de Suisse, était :

  • de mettre en évidence les rapports de force qui sous-tendent les débats actuels autour de la biodiversité ;
  • de créer un espace de réflexion et d'analyse critique pour des professionnels susceptibles de concevoir et mettre en œuvre des programmes de sensibilisation à la biodiversité ;
  • de connaître des initiatives françaises reposant sur des approches nouvelles pour sensibiliser les habitants d'un territoire aux enjeux de la biodiversité ;
  • d'échanger librement entre professionnels sur les intérêts et limites de quelques initiatives transposables dans d'autres territoires.

 

Pour revivre quelques instants de cette rencontre très riche ou poursuivre la réflexion sur ce sujet, visionnez les vidéos suivantes :


Vidéos du séminaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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