D’un point de vue étymologique, le terme « patrimoine » renvoie à l’héritage du père, aux biens de famille, et à la fortune, insérant d’emblée la genèse du patrimoine dans une double dimension économique et prospective. Le patrimoine est ainsi une richesse associée à une volonté de conservation dans le temps. Les historiens relatent avec précision comment, sur différentes périodes de l’histoire, le patrimoine est intimement lié au pouvoir (par exemple, la Renaissance Italienne et sa volonté de préserver les vestiges d’un passé glorieux, l’antiquité romaine ; la confiscation des biens de l’Église à la révolution française pour les transformer en biens nationaux mais avec une partie détruite afin de rompre avec le passé monarchique ; le travail d’inventaire du patrimoine français opéré pendant la monarchie de juillet pour légitimer le régime et la continuité historique, etc.) Les géographes posent eux les questions de la sélection des patrimoines et indiquent que ces définitions ne cessent de s’élargir au fur et à mesure que s’intensifient les pressions marchandes. C’est ainsi que, après les années 1970-80, s’opère un changement d’échelle.


CONTEXTES INSTITUTIONNELS DE L’ÉMERGENCE DE L’ÉDUCATION AU PATRIMOINE

Après les années 1970-80, s’opère un changement d’échelle : les patrimoines passent d’un encadrement étatique à un encadrement par les instances internationales – convention de 1972 sur le patrimoine mondial (UNESCO) ; convention de 2003 sur le patrimoine culturel immatériel (UNESCO) ; convention 2005 dite du Faro (COE-Conseil de l’Europe).

Ces conventions marquent une évolution des conceptions du patrimoine mais aussi de l’implication des populations dans sa définition, prémisses à l’importance que va prendre la composante éducative par la suite. En effet, la convention de 1972 est plus centrée sur les biens culturels et naturels. Elle fait appel aux spécialistes ayant une caution scientifique qui doivent procéder aux inventaires des « objets » à amener au statut de patrimoine, préludes à leur mise en valeur.

La convention de 2003 introduit le patrimoine immatériel et marque un pas supplémentaire en stipulant que les populations sont elle-même détentrices de patrimoines. Ainsi l’article 2 explique : « On entend par “patrimoine culturel immatériel” les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes, et le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel ». Aux inventaires patrimoniaux culturels et naturels viennent donc s’ajouter les inventaires immatériels, eux aussi globalement répertoriés par des spécialistes, mais pour lesquels les « objets patrimoniaux » sont « associés » aux pratiques humaines.

La convention de 2005 s’intéresse plus précisément, outre aux aspects bien connus liés au respect de la diversité culturelle, à la façon dont la valorisation patrimoniale pourra être menée, notamment par les populations autochtones, pour l’insérer dans le système économique marchand actuel. La convention du Faro (2005) stipule que la participation des citoyens est à la fois « une obligation éthique et une nécessité politique », elle pose le patrimoine comme une « ressource à mobiliser par les citoyens » et place l’éducation comme un moyen central pour y parvenir.


QUELLE CONCEPTION DE L’ÉDUCATION DANS CES CONVENTIONS ?

L’article 27 de la convention du patrimoine mondial de l’UNESCO (1972) pose déjà les jalons du rôle important qui va être conféré à l’éducation en lien avec les construits patrimoniaux qu’elle formalise. Il stipule, en effet, que « Les États parties à la présente convention s’efforcent par tous les moyens appropriés, notamment par des programmes d’éducation et d’information, de renforcer le respect et l’attachement de leurs peuples au patrimoine culturel et naturel défini aux articles 1 et 2 de la Convention ». Le cadre supranational de l’éducation au patrimoine est posé.

Au travers l’article 14 de la convention concernant le patrimoine immatériel (2003), il est indiqué que « les États doivent mettre en place un développement de l’éducation en faveur du patrimoine ». Ce qu’il faut retenir ici, c’est qu’il ne s’agit donc plus seulement de renforcer l’attachement des peuples aux patrimoines, mais qu'il s’agit de développer le patrimoine par l’action éducative.

La convention du Faro (2005) précise ensuite que le milieu éducatif formel et informel se doit d’accompagner ces injonctions supranationales, précisant qu’il s’agit d’une obligation éthique et d’une nécessité politique. Le patrimoine est clairement présenté comme une ressource que les citoyens doivent faire émerger, et l’éducation est alors un moyen central mobilisé pour y parvenir. Ainsi, la fonction utilitariste de l’éducation au service de l’émergence d’une ressource est explicite.

TRANSPOSITION FORMELLE DE L’ÉDUCATION AU PATRIMOINE EN FRANCE

Il est à la charge de chaque État de s’approprier les principes supranationaux énoncés dans les conventions internationales et de les adapter aux contextes éducatifs spécifiques (Branchesi, 2007 ; Barthes & Blanc-Maximin, 2016). Si l’on s’en tient au contexte de l’éducation formelle en France, et étant entendu que les éducations à... se développent pour une grande part dans l’éducation informelle, c’est dans le bulletin officiel du 7 juillet 1978, soit cinq ans après la convention-cadre de l’UNESCO, qu’apparait pour la première fois officiellement le terme de patrimoine à l’école (Musset, 2012). C’est aussi à cette époque que l’on voit apparaitre le terme « local » associé au terme de patrimoine. Il s’agit alors en histoire pour le cours élémentaire de « tirer parti des sources locales », c'est-à-dire d’utiliser les traces visible autour de l’école pour construire chez les élèves une base culturelle. Remarquons d’emblée le caractère expérientiel et non disciplinaire de la démarche, en relation avec les disciplines d’éveil. Deux ans plus tard, les instructions pour le cycle moyen spécifient qu'en éducation musicale les élèves doivent interpréter des chants relevant du patrimoine régional (M.E.N., 1980, 62). Plusieurs échelles géographiques locale, régionale, nationale, viennent alors se superposer dans les questions éducatives, mais s'y greffent aussi, à la même époque, les notions de patrimoines commun et universel.

Dès 1982 les « classes du patrimoine » permettant les séjours scolaires sur des sites culturellement riches figurent parmi les possibles « classes de découverte » du primaire (M.E.N., 1982). Il s’agit cette fois, à travers le patrimoine, de former des futurs citoyens et d’ouvrir les élèves à d’autres cultures, ouvrant la voie à l’éthique internationale de protection de la diversité. Les programmes pour le collège des années 1990 introduisent la responsabilité vis-à-vis du patrimoine en éducation civique de 6e (M.E.N., 1995b) et prescrivent en histoire le recours à des « documents patrimoniaux », définis comme héritage universel que le passé a chargé de significations, en en précisant la liste pour chaque thématique du programme (M.E.N., 1995c, 1997, 1998a). Et au travers des programmes de 1995 pour le primaire (M.E.N., 1995a) apparaissent les dimensions immatérielles du patrimoine (danse, objets quotidiens…).

La « Charte pour une éducation au patrimoine »[1] et son programme « Adopter son patrimoine » est instaurée en 2002, en même temps que l’éducation au patrimoine s’étend à l’école maternelle via les nouveaux programmes (M.E.N., 2002). Cette charte suit les dynamiques globales de l’histoire récente de l’école, à savoir son rapprochement avec son territoire : ici cela veut dire rapprocher l’élève de son patrimoine local, et cela implique la mise en place de partenariats avec l’environnement social de l’école. Selon cette charte, il s’agit d’impliquer les élèves directement dans « leur » patrimoine, « de faire comprendre aux élèves qu’en tant que citoyens ils sont détenteurs de ce patrimoine, qu’ils doivent protéger et réhabiliter », mais, fait nouveau, les élèves doivent également contribuer à définir leur patrimoine.

Par la suite le ministère de l’éducation nationale a intégré une éducation au patrimoine dans le Socle commun de connaissances et compétences (M.E.N., 2006). Les actions prennent fréquemment la forme de projets interdisciplinaires qui répondent à une volonté ministérielle de « passer d’une logique de développement des publics jeunes à une ambition conjointe d’éducation d’un futur citoyen, acteur de la politique culturelle, averti et critique, capable d’exercer un choix éclairé »[2]. Il y a donc le souhait de relier éducation au patrimoine et éducation à la citoyenneté.

Les programmes suivants, pour le primaire (M.E.N., 2008a), pour le collège (M.E.N., 2008c) et pour les lycées (M.E.N, 2010b, 2010-2012), positionnent le patrimoine dans l’ensemble des cycles primaires et secondaires. Par la suite, l'éducation au patrimoine est partie intégrante de l'éducation artistique et culturelle des élèves. À ce titre, elle figure au sein de l'enseignement d'histoire des arts, dans les écoles primaires, collèges et lycées : les enseignants sont invités à travailler en partenariat avec des associations et des structures officielles (musée, archives…). Pour prendre exemple sur l’école primaire, il y a l’idée que « les enfants sont mis en situation de rencontrer des œuvres du patrimoine de manière à construire chez eux la notion de passé proche puis, plus tard de passé plus lointain » (Barthes & Blanc, 2017). Les patrimoines concernés sont surtout littéraires et artistiques ou encore des objets patrimoniaux conservés dans la famille ou sur le territoire local, comme le précise le récent Socle commun de connaissances, de compétences et de culture (M.E.N.S.R., 2015b) dans le domaine des Représentations du monde et de l’activité.

 

[1] Consultable sur http://www.education.gouv.fr/botexte/bo020502/MENE0200882C.htm [consulté mars2017] ; elle est aussi déclinée en chartes départementales.

[2] Expression qui concerne le jumelage, mais qui peut correspondre aux objectifs ministériels d'autres partenariats culturels.

[3] Voir http://eduscol.education.fr/cid47986/partenariat-culturel.html [consulté mars2017].


émergence de l’éducation au patrimoine et Formes éducatives : problématiques

Dans tous les cas, l’éducation au patrimoine n’épouse pas les contours des disciplines formelles et s'inscrit dans les problématiques des éducations à... Elle pose à ce titre, un certain nombre de problèmes épistémologiques. En effet, l’éducation au patrimoine ne possède pas les caractéristiques habituelles des disciplines scolaires et universitaires, et se situe généralement en dehors de la forme traditionnelle des enseignements, même si elle s’inscrit dans une discipline. Elle est thématique, ce qui la distingue du modèle standard des contenus scolaires à caractère scientifique. Elle répond à une forme de demande sociale voire locale d’éducation et accorde une place importante aux valeurs. En conséquence, la légitimité scientifique des savoirs de référence ne va pas de soi. Les contenus sont constitués de multiples éléments, empruntés à de nombreux domaines scientifiques (histoire, sociologie, ethnologie, histoire de l'art, entre autres), sans articulation bien définie, et marqués de débats liés aussi aux enjeux sociaux du champ : il n’y a donc pas de matrice conceptuelle ou de paradigme dominant.

En conséquence, il a paru important de distinguer plusieurs formes d’éducation au patrimoine qui ne répondent pas de manière équivalente aux questions de la finalité et de la légitimité des savoirs enseignés. La première forme, plus spécifique à l’éducation formelle, sans exclusive, concerne les connaissances sur les contenus patrimoniaux. Les enseignements dispensés peuvent solliciter le niveau local, mais le plus souvent, il s’agit de patrimoines plus lointains, qui empruntent leurs savoirs aux disciplines scolaires enseignées. La deuxième forme de l’éducation au patrimoine, est plus une éducation « par » qu’une éducation « sur ». Elle vise à susciter une communauté de valeurs et d’identification à des spécificités culturelles ou territoriales par le biais d’une culture commune émergente partagée, comme par exemple la participation citoyenne, le développement durable, mais elle poursuit également des objectifs éducatifs spécifiques. La troisième forme, souvent issue de l’éducation informelle, est une éducation « pour » le patrimoine. Si l’objectif de susciter une communauté de valeurs est identique, la formulation indique clairement une posture utilitariste inscrite dans un cadre plus vaste d’éducation au territoire. Les objectifs pédagogiques ne sont pas toujours explicites, mais les objectifs identitaires et participatifs autour d’une valorisation des territoires sont parfaitement énoncés. Le recours au local est presque toujours de mise. L’éducation au patrimoine est ici thématique, il n’y a pas de curriculum prescrit mais un curriculum local auto-légitimé par ses concepteurs, dont la légitimité éducative peut faire défaut. Il n’y a souvent pas de procédure de reconnaissance des compétences à enseigner : est éducateur celui qui est volontaire pour le devenir et il n’y ni programmes, ni évaluation des savoirs acquis. De ce fait, l’éducation au patrimoine sollicite un partenariat entre l’éducation formelle et la sphère locale, souvent associative, quelquefois institutionnelle. Ceci implique un questionnement éthique, une critique de l’éducation au patrimoine conçue par les acteurs des territoires dans une démarche de promotion.

Il y a donc, dans l’éducation sur, par et pour le patrimoine, des référentiels très distincts – qui peuvent faire référence à des savoirs disciplinaires, par exemple le patrimoine pariétal dans la grotte Chauvet enseigné en histoire des arts, mais peuvent s’inclure également dans des projets locaux dans lesquels les élèves sont invités à patrimonialiser des éléments spécifiques d’un territoire sans référence directe à des contenus disciplinaires. Ces trois formes d’éducation au patrimoine peuvent intervenir dans des proportions différentes dans les projets d’éducation. Mais elles renvoient à des finalités différentes, ce qui incite à prôner une réflexion critique sur les référentiels sur lesquels s’appuient les projets. Ainsi très schématiquement, l’éducation sur le patrimoine se réfère le plus souvent aux contenus disciplinaires, tandis que l’éducation par le patrimoine renvoie fréquemment à des valeurs. On retrouve ici par exemple l’idée de promouvoir l’engagement, la solidarité, l’identité (Allieu-Mary & Frydman, 2003) ou la coopération par le patrimoine. Enfin, l’éducation pour le patrimoine correspond plus à l’idée d’utiliser l’éducation pour valoriser le territoire local, et dans ce cadre, les enseignements sont souvent basés sur l’expérientiel appuyé sur un référentiel local (Barthes & Alpe, 2015).

 

BARTHES, Angela

Université Aix-Marseille, Marseille, France

Extrait de: Barthes A. (2017). Education au patrimoine. In Barthes, A. Lange, J-M. et Tutiaux-Guillon N. (dir.) (2017). Introduction.  Dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à, L’Harmattan, Paris, 617 p


Pour aller plus loin

ALLIEU-MARY, N., FRYDMAN, D. (2003). L'enseignement du patrimoine et la construction identitaire des élèves.  TÉLÉCHARGER  [consulté avril 2017].

BARTHES, A, BLANC, S., (2017, à paraître), L’éducation au patrimoine : contre la forme scolaire de l’école primaire publique française ? Revue canadienne des sciences de l’éducation.

BARTHES, A., BLANC-MAXIMIN, S. (2016). L’éducation au patrimoine, un outil pour un développement local durable, ou une instrumentalisation de l’éducation au service de la labellisation des territoires ? Revue francophone du développement durable. n°6, 32-43

BARTHES, A., ALPE, Y. (2015). L'éducation au patrimoine dans les aires territoriales protégées, une dimension de l'éducation au développement durable ?. In A. Diemer & C. Marquat (dir.). Education au développement durable. Enjeux et controverses. (p.323-340). Bruxelles : de Boeck.

BRANCHESI, L. (2007). Heritage education for Europe: outcome and perspectives. Roma : Armando Editore.

MUSSET, M. (2012). Education au patrimoine, mémoire, histoire et culture commune. Dossier d’actualité de l'IFE - Veille et analyse. N°72. TÉLÉCHARGER [consulté avril 2017].

ORANGE RAVACHOL, D. (2018) Fieldwork and Geological Acculturation: Between Necessity and False Evidences, International Journal of Geoheritage and Parks. 2018, 6(2): 25-39 TÉLÉCHARGER


Pour citer ce texte: Barthes A. (2017). Education au patrimoine. In Barthes, A. Lange, J-M. et Tutiaux-Guillon N. (dir.) (2017). Introduction.  Dictionnaire critique des enjeux et concepts des éducations à, L’Harmattan, Paris, 617 p

 

Ce texte reprend pour partie la publication téléchargeable ci-dessous


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