Dans le cadre communicationnel, une copie – dans ses multiples possibilités de déclinaisons et de reproduction – porte un potentiel de valorisation et d’éducation aux publics distinct de celui de son original.


De l’apparition à l’illustration

Que l’on se place à l’échelle d’une copie unique ou d’un assemblage de copies dans une collection, la copie présente, par rapport à son original, l’avantage de la plasticité et de l’adaptabilité.

Une copie individuelle permet tout d’abord, selon les termes de Michel Van Praët, de « mettre en visibilité l’invisible », c’est à dire de révéler une portion de la réalité a priori non-accessible à la perception humaine. Par exemple, l’adaptation des techniques d’imagerie médicale et de création d’une image numérique à partir des dites technologies, permet aujourd’hui non seulement de voir mais également de montrer la structure et/ou la contenance d’objets patrimoniaux ou d’étude sans avoir à dégrader l’aspect de la surface en l’exposant à notre perception : c’est le cas notamment des nombreuses momies et sarcophages qui n’ont révélé leur pleine valeur scientifique et patrimoniale que lors de leur confrontation avec les nouvelles technologies.

La copie est tout d’abord nécessairement soumise au cadrage, dans un lien de parenté évident avec la photographie. Ce cadrage répond à la fois à des choix intellectuels (par l’intermédiaire du commanditaire) et à des contraintes matérielles (par l’intermédiaire du copiste) (Roustan, 2016 : 185). Si dans le cas d’objets isolés, le cadrage est simple car circonscrit à l’objet lui-même, le travail se complexifie à mesure que l’objet tend à se fondre dans son environnement ou son contexte. En effet, selon le sculpteur Adolphe Victor Geoffroy-Dechaume, il est primordial d’opérer un cadrage large sur certains objets à reproduire afin de ne pas décontextualiser l’élément à montrer.

En outre, une copie permet aussi d’obtenir une image à une échelle réduite ou au contraire agrandie de l’original. Cette étape est nécessaire dans le cas de la valorisation de sujets ou d’objets relevant de l’échelle microscopique, par exemple, ou au contraire, d’objets trop grands pour être exposés. Cette valeur offerte par la copie a été exploitée anciennement, par exemple dans le domaine de la micropaléontologie par la production de modèles en cire via la méthode des coupes sériées. On retrouve de nouveau un lien important avec la photographie par ce procédé qui s’apparente à un « zoom ».

À l’échelle de la collection également, la conséquence directe de la facilité de manipulation des copies, et de leur plasticité par rapport à leurs originaux, rend possible des assemblages en collections qui permettent des comparaisons et des mises en relation, au-delà de la manière dont une collection a été historiquement constituée ou structurée (le Masne de Chermont, I., 2016 : 118). En effet, dans n’importe quelle institution patrimoniale, un objet ne peut être pensé individuellement : il fait nécessairement partie d’un assemblage ou d’un classement quelconque, le plus souvent d’une collection. La collection, bien loin de stabiliser les objets, reflète leur histoire propre entre le moment de la collecte et les différentes exploitations qui en sont faites (Daugeron, B., & Le Goff, A., 2014) ; elle intègre l’objet et sa documentation dans un ensemble cohérent d’une part, et, d’autre part, elle conditionne l’objet à correspondre aux critères édifiés pour cet ensemble. Cette interdépendance peut donner lieu à un discours muséographique. Un exemple parlant est celui de l’ancien Musée de sculpture comparée, évoqué plus haut : si les éléments architecturaux dont les moulages qui y sont exposés sont indéniablement des biens relevant du patrimoine architectural, les copies qui constituent la collection ont été pensées et produites dans une logique comparatiste empruntée à la méthode scientifique, laquelle – par définition – est invisible dans les originaux individualisés et inamovibles. La mise en collection, facilitée par la copie, offre la possibilité à l’historien de déplacer son regard vers ce qu’on peut appeler la « topologie » des objets, c’est à dire leur disposition dans l’espace de la série, proposant ainsi une autre façon de construire le savoir théorique sur un ensemble d’objets (Anheim, É. 2016 : 166).


Le choix de la copie face au Tout original

Les copies résultent donc nécessairement de choix, de tris et de hiérarchisation (Roustan & Montjaret, 2016 : 12), mais permettent aussi des assemblages qui semblent presque plus à même d’être mis au service d’un discours qu’un original. En effet, en plus de rendre l’objet plus accessible et directement assimilable par la perception, la copie peut lui apporter tout son potentiel documentaire en mettant l’accent sur l’une ou l’autre des « valeurs » inhérentes à l’objet original. Ce principe, appliqué initialement à la restauration, est généralisable au processus de reproduction de copies. En effet, dans le cadre muséal et patrimonial où la tendance est à l’analogie, l’image s’insère dans un second moyen de communication, le discours, et l’illustre (Montpetit, R., 1996). Or, la plasticité de la copie permet de l’insérer au discours dans des liens cognitifs impossibles à mettre en place avec un original. Un cas parlant exposé par Riegl est celui de la valeur d’ancienneté d’un objet d’une part, et de sa valeur historique de l’autre : l’aspect usagé voire ruineux d’un monument dénote toute sa valeur d’ancienneté et est incompatible avec toute forme de restauration (Bergeron Langle, S., & Brunel, G., 2014) ; la valeur historique d’un monument, quant à elle, relève de la fonction documentaire d’un témoignage du passé, et nécessite au contraire les interventions successives visibles des différentes périodes de la « carrière » (Appadurai, 1986) du monument. Si un original ne peut en aucun cas respecter ces deux valeurs intrinsèques fondamentalement qui s’excluent mutuellement, la production de copies permet de palier à la perte d’une partie du contenu et du potentiel cognitif d’un original, et de s’insérer parfaitement à un discours portant sur l’un ou l’autre pan de ce contenu. Reprenons ici l’exemple du fac-similé du célèbre tableau de Véronèse, les Noces de Cana, exposé à San Giorgio Maggiore, à Venise. Le producteur de la copie a fait le choix, notamment, de ne pas faire apparaître les coups de pinceaux de l’artiste, pas plus que les entailles des aides de camp de Napoléon lors du pillage de la ville, encore visible sur l’original (Latour & Lowe, 2011 : 176). Ici, dans la nef d’une basilique encore exploitée à des fins religieuses, c’est au profit de la valeur esthétique de l’objet que la valeur historique a été volontairement atténuée. La copie permet donc, par rapport à l’original, de démultiplier les informations corolaires à ces derniers (Roustan & Montjaret, 2016), et de montrer, voire de conserver à différents endroits la complexité sémantique et cognitive d’un original.


De collection à outil médiatique : la ronde de fonction de la copie au musée

Au-delà-même de l’adaptabilité de la copie en tant qu’expôt, la copie d’un objet patrimonial n’est pas cantonnée à un statut de collection, contrairement à un original. Une copie peut en effet prétendre au statut d’outil de médiation voire de média à part entière afin de se rapprocher du récepteur.

On l’a vu, dans un nombre croissant d’espaces culturels, des copies ont remplacé les originaux, que leur présentation aux publics soit assumée ou dissimulée. Les problématiques éthiques liées à la copie sont d’ailleurs inhérentes à ce statut de collection. En effet, la distinction fondamentale qui existe par exemple entre le patrimoine numérisé et le « patrimoine numérique » – qui regroupe des ressources d’origine exclusivement numérique –, existe de la même manière entre la copie d’objet patrimonialisé – dont la valeur n’existe que dans le rapport à un patrimoine original – et la « copie patrimoniale » (Musiani, F., & Schaffer, V., 2017).

Mais lorsque la distinction formelle ou de traitement entre la copie et l’original permet de distinguer strictement l’un et l’autre, la copie n’est plus soumise à ces préoccupations d’ordre éthique, et peut s’offrir pleinement à l’illustration d’un propos. Une copie peut, par exemple, transposer l’objet dans une scénographie, intégrée au décors ou balisant le parcours d’exposition. Ce fut le cas notamment pour l’exposition « Maori, leurs trésors ont une âme » présentée à Paris, pour laquelle des motifs de tatouages (lesquels étaient également un des sujets et des objets exposés) furent intégrés au décor des salles d’exposition via des jeux de projection d’ombres (Crenn, G., et al., 2014). La copie numérique d’un objet patrimonial en contexte muséal peut donc s’incarner dans des dispositifs, voire permettre de nouveaux modes d’exposition, de lecture et d’exploitation d’un original donné : cette fonctionnalité est explorée, par exemple, par le Centre d’Art Numérique, à Paris, ou encore le collectif Carrières de Lumières, qui proposent des expériences immersives monumentales mettant en son et en lumière les œuvres d’artistes iconiques tel que Klimt ou Van Gogh.

La copie, au-delà de sa capacité à s’émanciper du statut d’expôt pour atteindre entre autres celui d’outil de médiation à l’interface entre l’institution et les publics, peut ainsi devenir en elle-même un média, c’est à dire un outil communicationnel se passant d’intermédiaire. C’est le cas, des banques de données en ligne permettant un accès direct à des objets dépendant d’un musée ou de toute autre institution de l’information et de la communication. Le Rijkmuseum d’Amsterdam – pionnier dans le domaine – a ainsi mis, en 2012, en accès libre 440 000 œuvres, sur la plateforme Openculture, tandis qu’en 2014, le Metropolitan Museum de New York annonçait la mise en ligne de 400 000 images numérisées sur son site internet. C’est également le cas des nombreux sites et lieux ou de sites d’intérêt culturel numérisés disponibles à la visite en ligne : on peut citer par exemple le Google Art Project, lequel, fondé sur la technologie Street View, permettait en 2011 déjà de visiter 17 musées en 3D, parmi lesquels la National Gallery de Londres, ou encore le château de Versailles en France. Il est également possible aujourd’hui de visiter via cette plateforme des sites en plein air tels que le Taj Mahal, à Agra17. Bien souvent, la copie constitue alors un tremplin pour créer un contenu nouveau, bel et bien distinct de l’original. Ainsi, dans un contexte de mise en réseau de la culture, la numérisation permet de créer entre l’objet et les récepteurs une zone de contact aux possibilités multiples (Müller, K., 2017 : 70).


La revendication de la valorisation par la copie

Le choix d’exposer une copie plutôt qu’un original peut aussi relever d’enjeux éthiques ou politiques. Le patrimoine s’est souvent trouvé au centre de conflits entre différents groupes se revendiquant détenteurs ou dépositaires d’un original dont le propre semble être, à tout le moins, l’unicité. Ainsi, certains lieux culturels sont contraints d’exposer les copies d’originaux volés ou anciennement appropriés dans des contextes de guerre ou de colonisation. Au. Musée du Dahomey, au Bénin, ancienne colonie française ayant accédé à l’indépendance en 1958, la quasi-totalité de la collection est constituée de copies, les originaux ayant été déplacés au Musée du Trocadéro, puis au Musée du Quai Branly, où ils sont toujours exposés ou conservés aujourd’hui. La possession d’un original, ou de sa seule copie, traduit un rapport de forces sur la scène patrimoniale internationale, et peut alimenter des revendications identitaires ou culturelles majeures (Juhé Beaulaton, D., & Girault, 2016).

Il est intéressant de noter qu’en France, la copie a déjà fait partie intégrante d’une procédure de restitution : la loi de 2011, autorisant le déclassement des Têtes maories présentes en France, permet la restitution de restes humains à leurs communautés d’origine, à la condition que cette restitution ne crée pas de « trou » dans les collections. Ainsi, le Muséum de Rouen a pu numériser en 3D la Tête maorie pour obtenir une copie numérique parfaite et conforme, permettant ainsi de conserver une documentation exhaustive de celle-ci, malgré la restitution de l’original à la Nouvelle-Zélande. (Varea, S., et al., 2011 : 30). De cette manière, le Muséum de Rouen a pu maintenir sa collection tout en remettant entre les mains des Maoris le destin de l’original. Ainsi, le choix de détenir ou d’exposer une copie au détriment de l’original peut constituer un véritable acte politique et diplomatique au sein d’une institution patrimoniale ou muséale.

La copie permet par ailleurs à un spécimen ou à un élément anatomique de se trouver simultanément dans plusieurs lieux, et motive ainsi les échanges et les collaborations entre les institutions muséales et scientifiques36. Dans la Galerie de Paléontologie du MNHN, si plusieurs spécimens ne sont pas désignés par la muséographie comme étant des moulages ou des chimères, ce n’est pas le cas du Diplodocus carnegiei. Et pour cause, l’acquisition de ce moulage par le MNHN a constitué un moment fort des relations entre deux institutions scientifiques : le Musée Carnegie, en Pennsylvanie, et le MNHN, destinataire de ce « cadeau symbolique de l’amitié sincère que le peuple américain porte au peuple français » (Véran, M., 1984 : 36). A son arrivée, le moulage de l’original a été accueilli, les bras ouverts et en grande pompe (ibid : 37), en présence, entre autres, de scientifiques des institutions américaines et françaises, et du Président de la République Armand Fallières. À l’inverse, quand des paléontologues français ont aidé à l’avancée de la connaissance dans cette discipline par la découverte, hors du territoire, de nouveaux fossiles, ceux-ci ont été systématiquement remis, après étude et moulage, à leur pays d’origine. C’est le cas notamment de l’Ouranosaurus nigeriensis, découvert en 1966 par Philippe Taquet, dont l’original est exposé aujourd’hui au Musée de Niamey, au Niger où il a été découvert, et dont le moulage est conservé dans les réserves du MNHN (ibid : 39).

 

DE BRUYCKER Léa Lydie

MNHN, Paris, France


Pour aller plus loin

Anheim, É., 2016. La matière de l’histoire, du texte à l’objet. Roustan, M. (dir.), Montjaret, A., Chevallier, P. (coor.), La recherche dans les institutions patrimoniales : sources matérielles et ressources numériques. Villeurbanne : Presses de l’Enssib, pp.154-170

Crenn, G., Davidson, L., Gagné, N., Roustan, M., 2014. Pratiques muséales, politiques autochtones et travail des identités culturelles dans l’exposition itinérante « E tū Ake » (Nouvelle Zélande, France, Canada), 2011-2014. Recherche menée pour l’appel à projet « Pratiques interculturelles dans les institutions patrimoiniales », 20p.

Daugeron, B., & Le Goff, A. (coor), 2014. Penser, classer, administrer, pour une histoire croisée des collections scientifiques. Paris : Publications scientifiques du MNHN ; CTHS, 415p.

Juhé-Beaulaton, D., Girault, Y., 2016. Entre effervescence et ambivalences : les déclinaisons locales du patrimoine. Guillaud D., Juhé-Beaulaton D., Cormier-Salem M.C., Girault Y. (dir.), Ambivalences patrimoniales au Sud. Mises en scène et jeux d’acteurs, Paris : Editions Karlatha, pp.6-16.

Latour, B., Lowe, A., 2011. The migration of the aura or how to explore the original through its fac similes. Intermédiarités, 17, pp.173-191

le Masne de Chermont, I., 2016. Les enjeux de la reconstitution en ligne de corpus disséminés. L’exemple des manuscrits koutchéens. Roustan, M. (dir.), Montjaret, A., Chevallier, P. (coor.), La recherche dans les institutions patrimoniales : sources matérielles et ressources numériques. Villeurbanne : Presses de l’Enssib, pp. 116-125

Montpetit, R., 1996. Une logique d’exposition populaire : les images de la muséographie analogique. Culture & Musées, 3, pp.55-103

Müller, K., 2017. Reframing the Aura: Digital Photography in Ancestral Worship. Museum Anthropology, 40.1, pp.65-78

Musiani, F., Schafer, V., 2017. Patrimoine et patrimonialisation numériques. RESET, 6 [En ligne] URL (consulté le 29 mai 2018)

Roustan, M. (dir.), Montjaret, A., Chevallier, P. (coor.), La recherche dans les institutions patrimoniales : sources matérielles et ressources numériques. Villeurbanne : Presses de l’Enssib, pp.170-192

Varea, S., Larson C., Minchin S., 2011. La fabuleuse histoire de la Tête de Maori de Rouen et sa numérisation. XYZ, 127, pp.29-32

Véran, M., 1984. Le Diplodocus : hôte prestigieux du Muséum. Phytotherapy, 198, pp.35- 39


La copie du patrimoine