L'offre culturelle peut-elle participer au développement local, via les activités de valorisation et de médiation des patrimoines ?

 

Les géoparcs constituent l’un des types du modèle patrimonial classique, assez proche par exemple de la réserve naturelle et de son centre d’interprétation et guère éloignée du modèle muséal ou écomuséal. Tous les lieux de patrimoine – musées, réserves naturelles ou écomusées – sont associés de près ou de loin avec l’idée du développement local, et souvent économique, notamment à travers le tourisme. Les géoparcs s’inscrivent dans cette même logique, notamment à travers l’idée de géotourisme comme principe de développement des territoires.


Pour commencer...


L’idée d’associer les musées et les lieux de patrimoine avec le développement local et, de manière plus précise, avec le développement économique local, est ancienne et remonte au moins au XVIIIe siècle. On la retrouve dans la constitution de nombreux musées ou lieux d’éducation, comme le Conservatoire national des Arts et Métiers, ou le Victoria & Albert Museum. Dès cette époque, deux types d’arguments liés à l’économie sont donc utilisés. Le premier porte sur la relation directe entre les collections (ou la recherche qui y est effectuée) et les résultats pouvant être attendus par des publics (les industriels) spécifiquement liés à la production économique. Un second type d’arguments d’ordre économique est également très rapidement suggéré : même lorsqu’ils ne s’adressent pas à des industriels mais au grand public, les lieux de patrimoine rendent également service en attirant des visiteurs, notamment étrangers, qui dépenseront leur argent dans la région. L’évolution de la relation directe entre collections patrimoniales et industrie a nettement diminué, sinon presque disparu au cours du XXe siècle. Le lien entre ces lieux et le tourisme, en revanche, s’est progressivement affirmé au fil du temps, au gré du développement de l’industrie touristique elle-même, qui se présente de nos jours comme l’un des secteurs les plus florissants au monde (UNWTO 2017).

 

Le lien des lieux de patrimoine avec le tourisme s’est intensifié au cours des années 1980, dans un contexte économique totalement bouleversé, après le premier choc pétrolier et la crise économique majeure qui s’en suit. La plupart des économistes de l’époque, s’ils plaident pour une ouverture plus forte des lieux de patrimoine au marché – afin de mieux faire payer les visiteurs – demeurent favorables à l’hypothèse d’un soutien public, pour autant qu’on puisse en démontrer l’intérêt. La raison principalement évoquée, dans cette perspective, est leur contribution au tourisme. Le calcul qui en résulte porte sur l’estimation des recettes engendrées par les lieux de patrimoine, soit les recettes directes de ces lieux (ventes de billets ou recettes de la boutique, recherches financées, produit d’expertises diverses) mais aussi les recettes indirectes, réalisées à travers les apports du travail patrimonial au sein de sa région. Dans ce dernier type de calcul, on cherche donc à estimer comment le public, venu pour visiter un site a également dépensé son argent dans d’autres lieux (hôtels, magasins, etc.) situés dans la région, puisque sans l’activité patrimoniale, il ne serait pas venu. A ce double mouvement de flux financiers, il convient d’en ajouter un troisième : les effets induits : les restaurateurs ou les boutiques avoisinantes, enrichis par ce nouvel apport financier, vont à leur tour augmenter leurs dépenses : embauche de personnel, commandes de fournitures, travaux de rénovation, etc.) qui entrent également dans l’économie locale. L’inauguration du Musée Guggenheim de Bilbao, en 1997, constitue dans ce contexte un moment charnière pour l’utilisation de ce type d’enquêtes. Sa réussite instantanée – il attire rapidement plus d’un million de visiteurs annuellement – le présente comme une success story économique. L’effet Guggenheim aurait ainsi contribué à transformer l’image de Bilbao, tout en permettant à l’ensemble des autres musées de la ville de bénéficier de sa dynamique, et à de nombreuses galeries d’art de s’installer (Kea 2006, p. 156-157).

 

L’exemple du Guggenheim va être largement utilisé pour démontrer l’intérêt d’investir dans le patrimoine. Si le principe sous-jacent à ce type d’arguments apparaît comme logique – en attirant des milliers, voire des millions de visiteurs qui ne seraient pas venus, les lieux de patrimoine participent au développement local –, les méthodes de calcul utilisées dans les études qui visent à démontrer ce phénomène sont en revanche parfois plus discutables et suscitent la critique de nombre d’économistes. Pour Nicolas (2006), ce genre d’études engendre trois types de risques : la plupart des calculs ne sont pas neutres, étant commandés par les organisations culturelles elles-mêmes ; elles développent une argumentation contraire aux principes de « l’exception culturelle » visant à sortir la culture du raisonnement économique ; enfin, elles peuvent biaiser l’interprétation politique liée aux choix des investissements, puisqu’il ne s’agit pas de démontrer qu’un investissement culturel mérite d’être réalisé parce qu’il serait rentable de manière indirecte, mais que cet investissement l’emporte sur toutes les autres possibilités alternatives (projets éducatifs, sociaux, écologiques, etc.).

Lorsqu’est créé le réseau européen des géoparcs, en 2000, le monde du patrimoine est déjà très largement associé à une logique de développement économique, notamment à partir du tourisme. Une telle voie avait déjà été initiée au courant des années 1970 parmi les parcs fondateurs du réseau, comme le montrent Gonzalez-Tejada et al. (2017) : le tourisme se présente déjà, alors, comme une possibilité de développement dans les régions rurales isolées. Cet argument ne sera jamais abandonné, tant s’en faut. Le recours aux arguments économiques, pour le développement des géoparcs et des lieux de patrimoine, présente une problématique spécifique. Dans cette perspective, c’est bien sûr la logique touristique qui apparaît comme l’un des principaux arguments en faveur du financement de ces lieux particuliers, dans un contexte lié au développement local : en accueillant des visiteurs, les géoparcs contribuent au développement économique de leur région par le mécanisme détaillé et analysé plus haut. Une telle perspective peut être envisagée aussi bien pour des lieux dont le seul potentiel précédent était agricole ou forestier (ce qui est aussi le cas de nombreux parcs naturels) que pour d’anciennes régions minières aujourd’hui désindustrialisées, comme c’est le cas du parc minier toscan (Italie) ou d’Hidalgo (Mexique).

 

On ne peut, dans ce contexte, que rappeler les différents risques associés à cette entreprise, certes absolument raisonnable sur le fond, mais parfois difficilement démontrable. Comme cela a été rappelé plus haut, la venue de visiteurs sur un site participe potentiellement au développement économique d’une région, mais les méthodes utilisées pour calculer les bénéfices de ces opérations sont pour le moins complexes à établir, et les résultats présentés sont souvent biaisés. En acceptant que la culture et, notamment, le patrimoine d’un géoparc puisse être discuté sur le plan économique, à partir du tourisme, les responsables de ces institutions peuvent espérer obtenir l’écoute de certains investisseurs ou décideurs politiques, mais ils encourent aussi un double danger : d’une part, leurs projets risquent d’être seulement évalués sur le plan des bénéfices économiques pouvant être obtenus par ce type d’investissements, tout en étant comparés avec d’autres projets économiquement plus rentables (mais culturellement faibles), comme la construction d’un parc d’attraction ou celle d’une nouvelle usine. D’autre part, en plaçant les géoparcs ou d’autres établissements culturels sur le plan du raisonnement économique, ils se doivent d’en accepter les conséquences, et notamment celles liées à des évolutions financières négatives de l’établissement, impliquant la cessation de ses activités. Si un tel raisonnement apparaît logique au niveau des entreprises soumises aux règles du marché, il peut entraîner des conséquences catastrophiques sur le plan patrimonial.

 

MAIRESSE François

Université Sorbonne-Nouvelle (Paris 3), Paris, France


Pour aller plus loin

 

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