Depuis la fin des années 1980, la cartographie participative est devenue un outil important pour les programmes d'aide au développement. La carte devient un instrument visuel puissant qui connaît un fort engouement et dépasse très largement le cercle des géographes et des cartographes professionnels.

La cartographie participative est utilisée pour qualifier cette nouvelle cartographie qui peut se définir comme suit : carte d'un territoire produite par un groupe d'habitants encadré par un groupe d'expert. Il s'agit d'un processus de construction qui n'est pas exclusivement lié aux technologies numériques.


La cartographie émanant de population locale est ancienne. David Turnbull dans son ouvrage Maps are territories publié en 1989, cite des cartes côtières gravées dans le bois et transportées dans des kayaks par les Inuits du Groenland ou encore un manuscrit écrit par un chef indien Iowa qui  a été présenté à Washington dans le cadre d’une revendication foncière. Cependant les initiatives restent isolées et peu répandues.

La cartographie participative a été mise en œuvre en particulier dans le cadre de projet de développement des territoires supposant une implication directe de leurs habitants. La carte n’est pas produite par des experts mais par des acteurs locaux. On parle bien de cartographie et non pas de cartes car il s’agit là d’un processus spécifique de construction. La carte produit final intègrera un savoir local et les personnes engagées dans la production des ces cartes n’appartiennent pas au milieu professionnel de la cartographie.

Le processus de fabrication est modifié, d’un travail d’ingénieur/expert imposant une vision du territoire selon une relation verticale du sommet vers la base (top-down), la méthodologie de cartographie participative inverse le processus de la base vers le sommet (bottom-up).

L’origine de ces concepts (gouvernance et les démarches participatives) vient de grands textes qui ont progressivement permis d’introduire la notion de participation.


LES DIFFÉRENTES APPROCHES :

La cartographie participative a fait son apparition dans le sillage des méthodologies d’évaluation rurale participative qui ont été largement utilisées par la communauté du développement dans les années 1980.

Ces méthodologies mettent l’accent sur la transparence et la participation de tous les membres de la communauté à une activité donnée, généralement liée à une initiative de développement ou à un processus de prise de décision communautaire. En 1983, Robert Chambers, un membre de l’Institute of Development Studies (Royaume-Uni), a utilisé l’expression “évaluation rurale rapide” pour décrire les techniques susceptibles de favoriser une “inversion de l’apprentissage”. Ces méthodologies mettent l’accent sur la transparence et la participation de tous les membres de la communauté à une activité donnée, généralement liée à une initiative de développement ou à un processus de prise de décision communautaire. En 1983, Robert Chambers, un membre de l’Institute of Development Studies (Royaume-Uni), a utilisé l’expression “évaluation rurale rapide” pour décrire les techniques susceptibles de favoriser une “inversion de l’apprentissage”.

Rapid Rural Appraisal (RRA) :

Une équipe pluridisciplinaire composée de chercheurs, analyse une série de sujets clairement définis dans les objectifs de l’étude. L’équipe travaille en coopération avec les membres de la collectivité, en les impliquant dans tous les aspects de la collecte et de l’analyse des informations. Les informations sont recueillies au moyen de divers outils et techniques à la portée des membres de la collectivité. L’attention se porte en général sur la collecte des informations et sur l’assurance que cette information soit aussi riche et précise que possible. En général la RRA donne lieu à un rapport qui résume les résultats des recherches. Ces informations peuvent ensuite être utilisées de diverses manières, y compris dans la conception d’un projet, les améliorations à des projets existants,

En d’autres termes, ces personnes vont dans ces zones rurales collecter l’information, et les ramènent pour les collecter et les analyser. L’information est donc propriété des « étrangers » et dans la plupart des cas, elle n’est pas partagée avec la population locale.

Participatory Rural Appraisal (PRA) :

Dans un PRA, l’accent est souvent mis non pas tellement sur l’information, mais plutôt sur le processus et la recherche des moyens d’impliquer la collectivité dans la procédure de planification et de prise de décisions. Si la RRA est une étude discrète, un

PRA est un processus de longue durée qui peut durer des mois ou des années, au fur et à mesure que les collectivités développent leurs propres aptitudes nécessaires à considérer un problème, analyser les options et mener à bien les actions.

Méthode accélérée de recherche participative (MARP) :

Les trois piliers fondamentaux de la MARP (et les différences fondamentales avec la MARR) sont:

1. le comportement et l’attitude des personnes extérieures, qui est de faciliter plutôt que dominer ;

2. les méthodes, qui sont ouvertes, orientés vers le groupe, visuelles et comparatives ;

3. le partage d'informations, de nourriture, d’expériences, etc. entre les personnes extérieures et les personnes concernées.

Dans les MARP, le groupe de cible est encouragé à apprendre et le rôle de la personne extérieure est réduit à celui de facilitateur du processus d'apprentissage.

Un exemple – Diembéring : 

De nombreux projets de développement rural ont mis en place un processus de cartographie participative pour intégrer les populations à la gestion de leur terroir.

Le village de Diembéring, situé en Basse Casamance au Sénégal en est un exemple. La culture du riz s’effectue de manière traditionnelle et souffre de la dégradation des terres sous l’effet du sel.

Un guide d’entretien structuré a été élaboré, permettant ainsi à l’équipe scientifique d’avoir un fil conducteur autour la problématique rizicole (évolution du terroir, pratique agricoles, variétés cultivées, calendrier saisonnier, …). Un point focal ou facilitateur a été choisi au sein de la population locale. Son rôle est essentiel dans le sens où il facilite les démarches administratives et politiques du processus et constitue l’interface entre la communauté locale et l’équipe scientifique.


QUELS OUTILS ?

Cartes de terroir : 

Il s’agissait dans le cas présent de réaliser deux cartes de terroirs sur la pratique de la riziculture : une carte datée d’il y a 50 ans  et une carte du terroir actuel. Le début de cet atelier de cartographie participative a été précédé par une présentation des objectifs du projet et du cadre dans lequel se déroule ce travail (avec quels acteurs, pour qui ? ….).

L’hétérogénéité du groupe de villageois a permis de positionner sur les cartes les informations structurant le territoire de Diembering, montrant sur la carte, « il y a 50 ans », un espace très recentré autour du fromager géant qui constitue encore aujourd’hui l’emblème du village. Les espaces réservés à la riziculture se réduisent, laissant place aux habitations  et aux infrastructures scolaires et sanitaires.

Calendrier saisonnier rizicole :

L’échange avec le groupe de femmes et d’agriculteurs de la communauté a permis au cours d’un entretien collectif d’établir le calendrier des activités agricoles afin d’identifier les contraintes saisonnières et les périodes de crise. Chaque étape est identifiée par son nom local puis décrite par la période et l’organisation du travail (fertilisation de la terre, défrichage, semis, surveillance,..) .

Recensement des variétés de riz :

L’identification des variétés de riz utilisés ses 50 dernières années a été facilité par la présence de personnes âgées dans le groupe. Chaque variété est accompagnée d’un commentaire sur le cycle végétatif et le besoin en eau. Certaines variétés valorisées par des programmes agricoles ne sont plus utilisées de par leur taille jugée trop basse par la communauté ou de par leur besoin en eau trop élevé.

Transect :

Il s’agit de produire un profil paysager en partant d’un endroit pour se rendre à un autre. Une marche d’observation a été menée conjointement par l’équipe de scientifique et les utilisateurs locaux des terres afin d’observer les unités suivantes : Palmeraie, enclos, pépinière, verger de mangue, cimetière, forêt sacrée, maisons, jardins, filao, plage et océan.

Apports et limites :

Il est nécessaire de créer les conditions d’une réflexion critique, trop souvent les approches se contentent d’une application standardisée limitée à une enquête  ou un atelier aboutissant à un rapport. Ces processus participatifs engendrent des questionnements de nature différente sur les acteurs, leur éthique et leur rôle dans l’apprentissage et l’appropriation du  processus participatif.

Les savoirs locaux sont la plupart du temps non écrits et transmis de manière informelle. Il est important pour l’équipe scientifique du projet Géopark de mettre en œuvre une méthodologie participative afin d’intégrer ces informations patrimoniales dans le processus de développement du territoire étudié.

 

HABERT, Élisabeth

UMR:PALOC (MNHN&IRD), Paris, France


Pour aller plus loin

 

De Robert P., Laques A. E., 2003, « la carte de notre terre ». Enjeux cartographiques vus par les Indiens Kayapó (Amazonie brésilienne), Mappemonde 69/1, 2003

Duvail S., Hogan R., Mwambeso P., Nandi R., Elibariki R. & Hamerlynck O., 2005. Apport de la cartographie à la gestion locale des ressources renouvelables dans les villages du District du Rufiji (Tanzanie). Norois, 196: 51-66.

Arnstein, S. R., 1969, A Ladder of Citizen Participation. American Institute of Planners Journal, 35(4), p. 216–224.

Liagre R. et Nonjon M., 2012, Une cartographie participative est-elle possible ?, EspacesTemps.net, Textuel, http://espacestemps.net/document9495.html

Palsky G., 2010, Cartes participatives, cartes collaboratives – La cartographie comme maïeutique, CFC n°25, p. 49-59.

Burini, F. (2005), « La cartographie participative dans la recherche de terrain en Afrique : le casdes villages riverains au Parc Régional W », Policy Matters, special edition WRegional Park,IUCN. En ligne.

Chambers, R. (1991), Rapid and Participatory Rural Appraisal, Brighton (R.-U.), Institute ofDevelopment Studies

Chambers, R. (2006), « Cartographie participative et systèmes d’information géographique : à qui appartiennent les cartes ? Qui en ressort renforcé, qui en ressort affaibli ? Qui gagne et qui perd ? », The Electronic Journal on Information Systems in Developing Countries (EJISDC),25 (2), p. 1-14.

Gueye, B., Schoonmaker Freudenberger, K. (1991), Introduction à la méthode accélérée derecherche participative [MARP] : rapid rural appraisal, quelques notes pour appuyer une formation pratique, Londres, International Institute for Environment and Development.

Lavigne Delville P.  Du nouveau dans la "participation" ? : populisme bureaucratique, participation cachée et impératif délibératif, in Jul-Larsen, E., Laurent, P.-J., Le Meur, P.-Y., Léonard, E. (Eds.), Une anthropologie entrepouvoirs et histoire. Conversations autour de l'oeuvre de Jean-Pierre Chauveau, Paris/Marseille/Uppsala, Karthala-IRD-APAD, pp.160-187.

Amelot X.  Cartographie participative pour le développement local et la gestion de l’environnement à Madagascar : Empowerment, impérialisme numérique ou illusion participative ?