Suite à la création, en 2015, du label Unesco Global Geoparks (UGG) qualifié de porteur d’innovations par ses approches « holistique » et bottom up du territoire, les responsables de ces structures devraient s’inspirer d’approches  plus anciennes qui ont fait leur preuve et qui font du patrimoine un projet de territoire.  Il en est ainsi par exemple des écomusées, concept inventé et proposé par Hugues de Varine à Robert Poujade alors Ministre de l’environnement en France, qui a été expérimentée à partir de 1968 dans les Parcs Naturels Régionaux d’Ouessant, du Mont D’Arrée, de Grande lande, de Camargue et de Mont Lozère. Ce concept a été repris depuis  dans de très nombreux pays. De Varine a proposé en 2017 une nouvelle définition synthétique de l’écomuséologie : « c’est une manière de gérer le patrimoine vivant selon un processus participatif, dans l’intérêt culturel, social et économique des territoires et des communautés, c’est-à-dire des populations qui vivent sur ces territoires ».


Ques un ecomuseo?

quo ecomuseo


Historique

Les écomusées sont nés de divers mouvements d'expérimentation muséale dans les années 60 et 70 du siècle passé, partis d'initiatives locales, dans les contextes locaux, sans normes imposées et sans concertation entre les promoteurs des projets. Le Mexique a créé successivement des musées nationaux révolutionnaires par leur conception et leur muséographie (1964), des musées locaux, des musées scolaires, puis des musées communautaires. Aux Etats-Unis, les luttes pour les droits civiques ont engendré les "neighborhood museums" dont le plus spectaculaire était le musée d'Anacostia, dû à John Kinard, parrainé par la Smithsonian Institution (1966). En Afrique, le Niger nouvellement indépendant a inventé un musée national réalisé par les différentes communautés collaborant à la construction de l'unité nationale (1963). En France, un ensemble de circonstances a amené à la création du musée, appelé plus tard écomusée, de la communauté urbaine Le Creusot-Montceau (1972). En Amérique latine, la Table ronde de Santiago (1972) a adopté le concept de "musée intégral" au service de la société.

C'est à partir de la Conférence générale de l'Icom de 1971 que ces initiatives, en se multipliant ont progressivement pris un sens et un nom, la "nouvelle muséologie". Comme toute institution qui se veut radicalement différente éprouve souvent le besoin de se donner un nouveau nom, le mot "écomusée", inventé dans un autre contexte, a été rapidement adopté par les militants de cette nouvelle muséologie, pour se démarquer des musées traditionnels et tenter de définir de nouvelles caractéristiques. Même si ce terme ne recouvre qu'une faible part du champ de la nouvelle muséologie, qui se prête mal à des définitions trop limitatives, nous conviendrons dans ce texte de l'utiliser comme représentant toute institution établie sur un territoire qui gère le patrimoine d'une communauté, par et pour cette communauté.


Une prospective indispensable

L’écomusée, tel qu’il résulte de cette histoire, est une innovation méthodologique qui a fait la preuve de son efficacité, aussi bien pour l'action culturelle que pour la valorisation du patrimoine et pour le développement local. Mais il est d’une très grande fragilité, car il n'a que rarement atteint le stade de la reconnaissance institutionnelle. Il répond mal aux règles et normes fixés pour les musées et autres équipements du monde de la culture. Il vieillit souvent mal, car il est étroitement lié à ses fondateurs et au moment de sa création. Il présente une grande diversité de modes d’organisation, de financement, de relations au monde politicoadministratif. C’est surtout un lieu d’expérimentation muséale et patrimoniale : à ce titre, il peut subir des échecs, des rejets de la part de la communauté ou de l'administration, des dérives vers l'économique ou vers le folklore. C'est ce qui justifie la question que nous voulons poser ici.

 

Il est certes utile et intellectuellement satisfaisant de pratiquer au quotidien l'écomuséologie (et l'écomuséographie), que d'autres appellent la socio-muséologie, d’étudier et analyser la théorie et les pratiques passées et actuelles des écomusées, mais il faut aussi se demander si et comment ce mouvement va vivre et se poursuivre dans les années qui viennent. En effet, dès maintenant en Europe mais aussi ailleurs (au Japon par exemple), les restrictions de crédits publics à tous les niveaux, du national au régional et au local, se combinent avec des efforts pour contrôler et normaliser l’usage du terme musée, même sous sa forme écomuséale.

Il faut aussi se poser la question de l’avenir plus lointain, à terme de 20 ou 50 ans. L’écomusée va-t-il être réintégré dans la norme des musées, par une simple muséalisation progressive du patrimoine, sous la forme du classement d'un nombre de plus en plus grand de bâtiments et de sites et par l'extension des collections acquises, mises en réserve ou exposées, ce qui retirera progressivement de plus en plus d'objets de la vie culturelle et sociale ? Ou bien va-t-il poursuivre dans la voie de l’innovation pour suivre les changements de la société et l’extension de la notion de patrimoine vivant, utilisé, en transformation, en création, sous la responsabilité de la communauté. Ou bien encore va-t-il simplement attirer sous sa dénomination – mais rarement dans l'esprit qui est le sien – d’innombrables musées locaux existants conservateurs de collections d'ethnologie, d'archéologie, d'histoire, d'industrie, que la France a déjà regroupés avec les écomusées dans la catégorie "musées de société" ? On peut d'ailleurs se poser la question de la validité du terme "écomusée" qui recouvre tant de réalités diverses mais ne confirme pas automatiquement la présence et l’interaction des trois termes territoire, patrimoine, communauté.


Quel avenir pour les écomusées ? Ce n'est pas l'avenir de tel ou tel écomusée que nous pouvons prévoir, avenir dont nous avons vu qu'il était fragile par nature et menacé par ne nombreux risques, confronté à des tendances encore peu claires, obligé de répondre à des enjeux locaux et extérieurs. C'est du mouvement écomuséal national et mondial qu'il s'agit, un mouvement nécessairement solidaire, au delà des appellations et des spécificités locales.

Il s'agit de la capacité de ses promoteurs et de ses militants de continuer à innover, à expérimenter, à changer avec la société, pour faire du patrimoine vivant des territoires de véritables ressources pour le développement de ces mêmes territoires. Cela signifie que tous les écomusées sont des acteurs de ce développement, que nous voulons appeler "soutenable", c'est à dire que chaque écomusée, dans son cadre territorial et communautaire, doit s'organiser pour forger l'avenir à très long terme, aussi bien en préservant des valeurs patrimoniales, en les faisant évoluer et se transformer, qu’en en créant de nouvelles, liées aux anciennes, ouvertes aux apports de nouvelles populations et aux influences de la mondialisation.

Cela fait de l'écomusée un agent social majeur et complexe, présent dans les champs culturel, éducatif, social, économique, assurant une cohérence et une continuité dans la vie quotidienne et dans les initiatives des membres de la communauté. C'est aussi un agent politique de mobilisation des citoyens pour participer à la construction consciente de leur avenir et pour se rendre capables de maîtriser les changements que cet avenir leur réserve. Encore faut-il qu'il soit reconnu comme tel par tous, par la communauté elle-même et par les pouvoirs politiques, sociaux et économiques. Pour cela il doit à la fois agir et être vu, résister et coopérer, convaincre et faire vivre le patrimoine comme un capital commun.

 

FILIPE, Graça, DE VARINE, Hugues

Extrait de: Graça Filipe et Hugues de Varine, Quel avenir pour les écomusées ? 

Cet article a été préparé à la suite de l'intervention des auteurs lors de la conférence internationale sur les écomusées tenue à Seixal du 19 au 21 septembre 2012. 

Le texte complet est téléchargeable en bas de page.


Exemples d'écomusées autour du monde...

Pour aller plus loin

Giuliano Canavese, Franco Gianotti, Hugues de Varine, 2018. Ecomuseums and geosites community and project building. International Journal of Geoheritage and Parks. 2018, 6(1): 43-62 TÉLÉCHARGER



Les écomusées