Quelles sont les tendances qui sont à l’œuvre actuellement ou qui se dessinent, dans l'environnement des structures et institutions locales dont font partie les écomusées, et quel impact ont-elles sur eux ?

Une simple observation de l’innovation actuelle dans le champ de la "nouvelle muséologie" et de l’écomuséologie permet de discerner des tendances plus ou moins localisées, dont certaines sont sans doute porteuses d’avenir, qu'elles soient favorables aux écomusées, ou au contraire qu'elles aggravent les obstacles à leur développement. On tente ci-dessous d'en décrire quelques unes qui nous paraissent évidentes. A chaque lecteur de réfléchir à d'autres tendances majeures dans son environnement, au plan national ou même européen ou international, qui viendraient s'ajouter à celles-ci. Il est important pour l'avenir des écomusées, comme de toute innovation fragile, de veiller aux changements qui interviennent si rapidement dans notre environnement social, économique, culturel, législatif.


Des législations territorialisées

Nous avons vu plus haut que la plupart des pays ne reconnaissaient pas les écomusées comme une catégorie légitime de structures de gestion patrimoniale, et qu'ils sont normalement rattachés à la réglementation des musées ordinaires. Il y a cependant des exceptions, qui pourraient se multiplier, si les écomusées deviennent de plus en plus nombreux et acquièrent une crédibilité et une visibilité dans le champ patrimonial qu'ils n'ont pas encore. On note le cas, unique actuellement, du grand nombre de régions italiennes qui ont adopté ou qui préparent, dans le cadre largement décentralisé de ce pays, des lois régionales des écomusées.

La Chine semble en train de parvenir à un système analogue, dans plusieurs régions, comme une thèse de PHD en cours à Deakin University, Melbourne5 l’a présenté au début de 2014.. On peut aussi signaler le cas particulier du Mexique, où les "musées communautaires" sont reconnus officiellement dans le cadre de l’INAH et existent au niveau des états fédérés6 . L'association brésilienne des écomusées et musées communautaires (ABREMC) réfléchit actuellement à un projet de législation, nationale ou au niveau de certains états, inspirée de l'exemple italien.

Ces décisions peuvent aboutir à stabiliser l’écomusée, à lui assurer un minimum de soutien public durable associé à la reconnaissance politique et administrative, mais aussi à lui retirer progressivement son caractère expérimental et réellement endogène sur les territoires.

Une autre formule est de reconnaître aux écomusées et projets similaires leur spécificité, leur caractère expérimental, leur appartenance à une logique de service social. C'est ce qu'a fait la région Emilie-Romagne en Italie.

Dans les pays très décentralisés, où les municipalités ont une réelle capacité de gestion autonome et innovante de leur patrimoine, les écomusées sont souvent rattachés à un service municipal du patrimoine qui comprend la protection des monuments classés, le recueil de la mémoire, l'inventaire participatif du patrimoine de la communauté, les écomusées (quels que soient leurs appellations réelles et leur statut juridique) étant reconnus comme des instruments de ces missions sur leurs territoires.

De ces différentes formules dépend l'avenir de ces écomusées et le soutien des pouvoirs publics. Restera à les protéger des risques d'aliénation des projets originaux et d'instrumentalisation, toujours présents.


Des stratégies de réseaux

Un peu partout les institutions culturelles se structurent en réseaux, soit à l'initiative des structures ellesmêmes, soit à l'initiative des pouvoirs publics. L'objectif est d'améliorer la cohérence, de faciliter la formation des acteurs et des agents, de mutualiser certains services, de partager les expériences et d'échanger sur les méthodes, de "labelliser" à travers un cahier des charges ou une charte, plus ou moins négociée avec les intéressés, ou même de créer un "lobby" pour la défense de leurs intérêts.. Des expériences de réseaux initiés par les écomusées eux-mêmes n'ont pas vraiment réussi à fonctionner : par exemple en Norvège et au Canada (Québec).

En Italie, chaque région où existe une loi des écomusées a créé un réseau qui a surtout pour but l'échange et la coopération. En France, on a vu plus haut que la Fédération des écomusées s'est élargie aux musées dits "de société", ce qui entraîne une confusion dans les critères reconnus pour l'adhésion au réseau. Les associations ou groupements volontaires d'écomusées forment des réseaux de travail entre professionnels et responsables d'écomusées. C'est le cas de Mondi Locali en Italie, de l'ABREMC au Brésil, de l'Union de los museos comunitarios dans l'Etat d'Oaxaca au Mexique, des "Neuf de Transilie" dans la région parisienne en France. Leur rôle est de solidarité, de formation réciproque, de coopération sur projets, de recherche appliquée sur les méthodes.

On constate d'autre part l'existence de réseaux thématiques : musées de favela, de bidonville ou de quartier urbain, musées indigènes ou autochtones, musées industriels, qui ne font pas nécessairement référence au nom d'écomusées, mais qui portent bien les mêmes valeurs et les mêmes principes.

On doit aussi mentionner les cas où le réseau rassemble tous les musées d'un grand territoire (métropole, province, état...), comme au Brésil, ou bien encore des dispositifs de type coopératif qui associent des structures culturelles et patrimoniales appartenant au même territoire. sur des objectifs communs de développement de la société. On parle alors de "communautés de musées", de "systèmes de musées" ou, en Italie, de "districts culturels" comme celui, très actif, du Val Camonica en Lombardie.

Quelle place peuvent y prendre les écomusées, dont les préoccupations propres sont très différentes de celles des musées traditionnels (relation aux collections, aux publics, etc.) ? Comment tirer le meilleur parti de cette tendance, sans pour autant tomber dans le défaut, toujours présent dans ce genre de réseaux, qui est celui de l'exclusion des projets qui, pour des raisons qui peuvent être très subjectives, ne répondent pas à des critères fixés a priori ? 


L'apparition de formules nouvelles

Un Patrimonio : Ecomuseo delle acque, Italy

Les promoteurs et responsables d'écomusées sont généralement très attachés à ce terme, alors que d'autres acteurs des patrimoines et de l'action communautaire le rejettent ou le trouvent trop peu explicite.

De plus l'effet de mode qui l'entoure a parfois généré des créations d'écomusées peu respectueux de ses principes de base (territoire, patrimoine, communauté). Tout cela entraîne, dans certains pays, une volonté de s'affranchir du terme écomusée, pour rechercher d'autres appellations ou pour revenir à la forme simple "musée de...", même s'il n'y a pas de collection, si c'est la communauté qui est l'acteur principal et même si le territoire est parfaitement délimité et servi. On trouve par exemple des musées de rue, des musées de parcours, des musées communautaires, des musées de communautés particulières (comme le fut le Anacostia Neighborhood Museum dans les années 60 et 70 du siècle dernier, qui a joué un si grand rôle dans le concept d'écomusée).

Les musées de favelas à Rio de Janeiro sont des exemples caractéristiques de cette tendance récente. Il existe aussi des cas de projets qui ne font référence ni au musée, ni à l'écomusée, mais qui devraient réellement s'y rattacher car ils en possèdent toutes les caractéristiques : les Pontos de Memória également au Brésil, les Parques culturales d'Aragon (par exemple celui du Maestrazgo de Teruel), le Consórcio de desenvolvimento sustentável de la Quarta Colónia en Rio Grande do Sul. Ils s'appuient sur la valorisation du patrimoine du territoire à partir de la mobilisation et de la responsabilisation des populations et dans une perspective de développement global.

En Italie, en application de la Convention européenne du Paysage (2000), le thème du paysage se retrouve dans les noms des écomusées, mais il est aussi l'objet d'initiatives particulières, sous le nom par exemple d'observatoires du paysage, qui entraînent des activités d'inventaire, d'éducation populaire et de valorisation, très proches des écomusées.

Au Portugal, on retrouve l’influence des principes écomuseaux dans divers musées créés dans les décennies de 80 et 90 du siècle passé, notamment ceux qui sont associés à la valorisation du patrimoine technique et industriel. Cependant ces musées ont adopté, dans leur grande majorité, l’appellation classique de musée, même lorsqu’ils s’inspirent de la nouvelle muséologie dans leur programmation.

Toutes ces expériences apportent aux écomusées des idées nouvelles, qui s'éloignent de plus en plus du musée traditionnel, en mettant l'accent principalement sur le territoire et sur son développement, même si la ressource principale reste le patrimoine au sens le plus large. La communauté humaine reste aussi l'acteur et l'usager principal. C'est pourquoi nous avons voulu, dans cet article, élargir le champ bien au delà du seul mot d'écomusée. C'est pourquoi aussi l'observation des nouvelles tendances issues du terrain est si importante pour maintenir vivante et créative la dynamique écomuséale, au delà des pratiques sémantiques.


La mobilisation des parties prenantes

Nous avons vu plus haut à quel point le manque de ressources propres des écomusées et la réduction des financements publics dus aux politiques d'austérité des gouvernements, des régions et des villes, soumis à une pression sociale accrue, fragilisaient des projets expérimentaux et peu inscrits dans le panorama muséal traditionnel. Un nombre croissant d'écomusées, dans divers pays, sont en train de procéder à une révision drastique de leurs partenariats avec ceux que l'on peut appeler les parties prenantes (stakeholders) du patrimoine et de l'action culturelle. Ils suivent en cela l'exemple donné par de très nombreux groupements et projets des secteurs culturel, social, éducatif, sportif, qui sont en train d'être abandonnés par leurs sources traditionnelles publiques de financement.

Dans cette optique, les autorités publiques locales et régionales deviennent des interlocuteurs de l'écomusée, non plus seulement au titre de leurs politiques culturelles et de la valeur intrinsèque du patrimoine, mais en raison des ressources que ce patrimoine offre pour la vie sociale, le développement économique, l'emploi, le maintien de productions rentables, l'insertion des nouveaux habitants. Les acteurs économiques locaux et du voisinage, pour leur part, ont intérêt à la qualité du cadre de leur activité, à l'attractivité du territoire pour leurs salariés et surtout leurs cadres, à la réutilisation de friches industrielles ou d'habitat ancien pittoresque.

Ils doivent aussi remédier aux pollutions et à l'érosion physique que leurs activités provoquent au patrimoine. Les établissements d'enseignement primaire, secondaire et supérieur ont besoin des outils pédagogiques offerts par l'écomusée et le territoire, des facilités de recherche, d'une médiation avec les porteurs de traditions. Les agents de l'industrie du tourisme recherchent dans l'écomusée un pôle local d'accueil, de programmation, de médiation, de construction d'image, de communication, permettant d'optimiser les flux touristiques en fonction de la capacité de réception du territoire et de la population. Les artisans spécialisés dans les métiers du patrimoine trouvent dans l'activité de l'écomusée des débouchés réguliers pour l'entretien, la maintenance, l'aménagement, la signalisation, etc. Les entreprises extérieures au territoire mais qui trouvent dans celui-ci soit des producteurs soit des 17 consommateurs ont intérêt à favoriser son développement et peuvent y intervenir au titre de leur responsabilité sociale (ce qui est très différent du mécénat traditionnel qui n'implique que le goût personnel du dirigeant, à titre personnel).

C'est parmi toutes ces parties prenantes que l'écomusée trouve, ou trouvera, les volontaires qui apporteront leur force de travail et leurs compétences variées. Reste la question de la mobilisation des parties prenantes qui, jusqu'à présent, ne considèrent habituellement l'écomusée que comme un "hobby" d'intellectuel. Tout un discours est à inventer et à formuler, une démonstration faite en des termes compréhensibles par chaque catégorie de partenaires, pour que leur intérêt soit éveillé et que la prise de décision de soutien moral, humain et matériel, voire financier, soit facilitée. Des exemples existent dans la liaison permanente et structurelle entre l'écomusée de Maranguape (Ceará, Brésil) avec une coopérative d'agriculteurs et une école secondaire ; dans la coopération historique entre l'écomusée de Val Germanasca (Piémont, Italie) avec la Scopriminiera qui exploite les mines de talc ; avec le travail effectué par l'écomusée Paysalp (Haute Savoie, France) et une coopérative laitière pour la promotion des produits de celle-ci et en général de ceux des agriculteurs du territoire ; dans les relations très étroites qui se sont nouées entre l'écomusée de Santa Cruz (Rio de Janeiro) et quelques grandes entreprises de la zone industrielles voisine, comme Gerdau, la Casa da Moeda, etc.

Parmi les expériences et les pratiques de l’écomusée municipal de Seixal, on note la coopération avec les entreprises locales de boulangerie industrielle, dans le cadre d’un projet d’exposition éducative sur le cycle céréales/pain. Les entreprises firent la promotion de leurs produits pendant plusieurs mois dans une des antennes de l’écomusée (le moulin de marée de Corroios), permettant par là d’atteindre simultanément les objectifs d’éducation et de sensibilisation à une alimentation saine.

Citons également, dans le même écomusée, les relations établies avec des entreprises et des institutions associées aux activités maritimes, en vue de la valorisation des professions et de l’économie liées à la mer. La plupart des écomusées ne sont pas encore habitués à ces négociations avec des partenaires appartenant à d'autres secteurs et à d'autres logiques, mais ils doivent apprendre à exister sur les territoires en tant qu’acteurs du développement, et donc être à même de coopérer avec l'ensemble des autres acteurs.


L’appel à des pratiques d’ordre économique

L’écomusée devient parfois un producteur et un acteur économique à part entière. Des expériences sont tentées à partir des logiques de filière, de la labellisation/commercialisation de produits locaux, du tourisme de base communautaire. Ces pratiques intègrent l’écomusée dans les stratégies et les plans de développement soutenable. Beaucoup d'écomusées, sinon tous, vendent déjà dans des boutiques spécialisées des produits "du terroir". Certains vont plus loin et prennent l'initiative d'intervenir activement dans l'économie de proximité, de la production à la commercialisation.

C'est ainsi que le programme pilote de l'Ecomuseo delle Acque del Gemonese (Frioul, Italie) travaille à la création d'une filière économique avec tous les échelons de production entre la culture d'un maïs de montagne et la commercialisation d'un pain traditionnel selon les 18 méthodes organiques actuelles, etc.8 L'Ecomuseu da Amazônia, à Belém (Pará, Brésil) assure la formation (capacitação) et l'accompagnement technique de communautés villageoises pour un développement de productions artisanales et horticoles, à destination de la consommation familiale, mais aussi de la vente sur les marchés des environs ou sur les sites touristiques de l'agglomération.

On peut citer aussi une tendance qui est partie du Québec dans les années 90, celle de créer des économusées, où la production économique rentable prend le pas sur le travail communautaire et le service à la population. Cette formule peut facilement dériver dans la pure exploitation lucrative d'un élément de patrimoine par des équipes spécialisées, sans réelle liaison avec la population dans son ensemble. En Italie, le mouvement Mondi Locali10 organise chaque année à Argenta (province de Ferrare, Emilie Romagne) la participation active d'une quinzaine d'écomusées venus de toutes les régions d'Italie à la foire commerciale locale pour la promotion et la vente des produits locaux de leurs territoires (artisanat, oenogastronomie, programmes touristiques).

Les écomusées présents y gagnent une visibilité et une expérience de nouveaux marchés réels ou potentiels, et aussi une incitation aux responsables de chaque écomusée à réfléchir, avec des collègues, aux questions de gestion, de normes européennes, de fiscalité, de qualité, de productivité, pour eux-mêmes et pour les petits producteurs locaux qu'ils représentent. Le tourisme de proximité et l’écotourisme, qui sont promus directement par les acteurs locaux, avec des capitaux locaux et appuyés sur des ressources locales, sont une forme nouvelle d'intégration du patrimoine dans le développement endogène. Ils nécessitent une mobilisation concertée de tous, en échange de retombées positives sur l'économie du territoire, en termes d'emplois, de micro-entreprises, d'animation de la vie locale, de formation des jeunes, d'utilisation des savoirs des anciens, de réutilisation du bâti, etc.

Toutes ces pratiques diverses donnent aux écomusées qui s'en sont fait une habitude une crédibilité comme acteurs et partenaires du développement local. Certes, le retour sur investissement et le volume du chiffre d'affaires sont modestes au début, mais cela peut représenter une voie d'avenir. Les écomusées pourraient ainsi, progressivement, rejoindre le vaste mouvement de l'économie sociale et solidaire, dit aussi Tiers Secteur, qui tend à prendre une place majeure dans l'économie des territoires.


La liaison avec les politiques du développement soutenable

Puisque l'écomusée est étroitement associé au développement de son territoire, il est naturellement concerné par le développement soutenable et par les différentes activités qui l'accompagnent ; toutes, plus ou moins, s'appuient sur le patrimoine et sur la participation de la communauté. Qu'il s'agisse de l'eau, de l'énergie, du recyclage des déchets, de la biodiversité, l'écomusée a un rôle à jouer dans l'information, l'éducation populaire, la mise en œuvre de projets, l'observation du paysage et des changements au cadre de vie, etc. Un nombre croissant d’écomusées sont liés, sous diverses formes, a des programmes d’Agenda 21 local. 

L'Ecomuseo del Paesaggio de Parabiago (dans la grande banlieue ouest de Milan) est chargé de créer et de faire vivre l'Agenda 21 de ce territoire ; à ce titre il participe de tous les projets d'aménagement, en particulier celui de la vallée de la rivière Olona. L'Ecomuseu de Maranguape (Ceará, Brésil) a été créé à la suite d'un agenda 21, pour en assurer la continuation et en exploiter les résultats. En effet, les deux formules sont très proches dans leurs logiques et leurs méthodes.

De plus, l'écomusée peut, et devrait, s'assurer que le patrimoine culturel, matériel et immatériel, soit effectivement intégré dans le processus de l'Agenda 21 et en général dans les stratégies et les programmes de développement soutenable des territoires. Trop souvent en effet, le développement soutenable concerne l'environnement, un peu le social, mais pratiquement jamais le culturel. Or on ne peut envisager un avenir "soutenable" sans qu'il s'enracine dans une continuité et dans une diversité culturelle, et aussi sans que la culture et le patrimoine vivants soient gérés avec prudence et créativité pour les adapter aux changements de la société et des technologies ainsi qu’aux influences de l'extérieur.

Les cas cités ci-dessus font précisément cela, mais on peut aussi citer des musées de populations indigènes (Brésil) ou autochtones (Canada) qui s'attachent à une gestion de leur environnement qui tienne compte non seulement de principes écologiques définis par des spécialistes extérieurs, mais aussi de la signification spirituelle de sites, d'objets et de rites qui ont contribué depuis des générations à l'entretien des ressources disponibles pour la survie et la cohésion de la communauté.


La généralisation du numérique

Audiovisual Ecomuseu de Barroso, Portugal

Les écomusées, comme les musées les plus traditionnels, s'attachent à mettre en valeur des "choses réelles", des objets, des monuments, des sites, ou bien des "choses immatérielles". Mais actuellement, l'invasion des technologies numériques pour l'information et la communication, et aussi pour la recherche et l'éducation, entraîne une nouvelle dimension de toute activité basée sur le patrimoine.

C'est particulièrement net pour le travail d'inventaire participatif : au delà d'un premier inventaire fait sur le réel, les techniques d'enregistrement, de classement, de reproduction rendent possible une exploitation des ressources documentaires, mais aussi une implication continue de la communauté et de chacun de ses membres dans la recherche, le complément et le partage d'informations, l'apport d'images, etc. GoogleMaps, la géolocalisation, les applications pour smartphone sont des techniques précieuses pour cartographier les éléments de patrimoine aussi bien pour les habitants que pour les visiteurs de l'extérieur. L'audioguidage devient une méthode de plus en plus utilisée, même par de petits musées locaux ou par des sites du patrimoine pour faire connaître et comprendre le patrimoine et son cadre, son histoire, ses significations.

Ces moyens nouveaux permettent aux écomusées de faire connaître et de rendre accessibles à de larges publics des patrimoines qui autrement ne pourraient être valorisés que avec la participation des communautés elles-mêmes, sur leurs territoires. Le numérique/digital, mieux maîtrisé par les générations les plus jeunes, peut aussi permettre d'associer aux travaux de l'écomusée des jeunes, en dehors même du cadre scolaire, à travers les réseaux sociaux, des webTV réalisés par eux-mêmes, des fonctions de webmaster, des blogs.


Une organisation territoriale solidaire

Au moment où la crise économique en Europe oblige à repenser les relations entre les différents niveaux de territoires et les arbitrages budgétaires, des réflexions de plus en plus fréquentes concernent l'organisation de la carte des musées et du patrimoine (en ajoutant les monuments, les bibliothèques, les archives) et leurs éventuelles coopérations en vue de mutualiser les recettes et les dépenses, le personnel, les activités, la communication. Plusieurs solutions sont discutées, même si, jusqu’à maintenant, un certain conservatisme et l'individualisme des musées locaux et de leurs responsables s'oppose encore à des initiatives radicales et à des changements créatifs des modes de gestion.

  • on assiste d'abord à des colloques, à des réflexions collectives, mais cela ne débouche que rarement sur des décisions originales,
  • des réseaux de musées se constituent comme on l'a vu plus haut, mais rarement pour des motifs de gestion et d'économie, plutôt pour des raisons de défense administrative et de réalisation en commun d'activités,
  • des regroupements ou des fusions de petits musées, qui deviennent des institutions polynucléaires, avec un certain degré d'autonomie pour chaque élément, mais des coûts de personnel et de gestion mis en commun.

Quelle que soit la solution retenue, il est indispensable, pour obtenir des résultats, ici encore "soutenables", d'effectuer au préalable un diagnostic de la situation sur un grand territoire, d'analyser la situation particulière de chaque musée, sous différents angles (fondateurs, collections, personnels, ressources habituelles, intérêt des élus et des communautés, situation géographique), puis de rechercher par concertation avec les intéressés une solution acceptable par tous et aussi par les autorités locales, régionales et nationales.

Cette solution ferait l'objet, autant que possible, d'une cartographie des éléments regroupés, d'un organigramme et de conventions formelles pluriannuelles, pour donner au nouveau dispositif une visibilité et une légitimité fortes. Il semble, en tout cas, qu'il soit inévitable de faire appliquer dès maintenant un véritable moratoire sur la création de nouveaux musées comme sur l'extension ou les reconstruction de musées existants. Il est irresponsable de créer de nouveaux besoins de financement en fonctionnement, qui perdureront et s’accroîtront pendant très longtemps, même si des moyens d'investissement sont disponibles immédiatement.

Le principe de base est toujours la solidarité entre les forces du territoire qui se préoccupent du patrimoine et de l'intérêt des populations, c'est à dire de l'utilité sociale du musée, et aussi la solidarité entre les musées de territoires voisins et surtout entre leurs responsables, qu'ils soient volontaires ou professionnels.


Transformer les musées traditionnels

On remarque enfin des efforts croissants, de la part des musées traditionnels et des muséologues qui en ont la charge, pour adopter ce que l'on pourrait appeler, par analogie avec les entreprises privées, une 21 responsabilité sociale envers leur environnement humain et patrimonial.

Cela va dans le sens qui avait été recommandé il y a plus de 40 ans par la Table Ronde de Santiago, qui a précédé l'expansion des écomusées et concernait alors exclusivement les musées d'art et de sciences. On peut donc espérer que les musées et les écomusées se rapprocheront et coopéreront pour gérer ensemble le patrimoine, vivant comme protégé, des territoires. Le service éducatif de la Pinacoteca do Estado de São Paulo (Brésil) a développé des activités considérables en direction des populations les plus défavorisées de la ville, des enfants des rues et des handicapés.

Même l'ICOM, dans ces dernières années, a mis en débat, lors de ses conférences générales et lors des journées annuelles des musées, ce type de thème, peut-être plus difficile à envisager dans les très grands musées d'envergure nationale ou internationale, mais très valable pour les musées régionaux et provinciaux qui peuvent se donner des missions de services à des populations proches, et orienter à leur profit l'utilisation de leurs collections. Les écomusées peuvent contribuer à cette mutation des musées traditionnels, en apportant à leurs personnels professionnels des principes, des expériences, des méthodes nourris de leur pratique du terrain et de leur conception de leur fonction sociale.

 

FILIPE, Graça, DE VARINE, Hugues

Extrait de: Graça Filipe et Hugues de Varine, Quel avenir pour les écomusées ? 

Cet article a été préparé à la suite de l'intervention des auteurs lors de la conférence internationale sur les écomusées tenue à Seixal du 19 au 21 septembre 2012. 


Pour aller plus loin