Quels sont les défis qui vont exiger, de la part des écomusées, des choix, des prises de décisions et l'invention de méthodes et de moyens nouveaux, afin qu'ils soient en mesure de jouer leur rôle dans leurs territoires et leurs communautés ?

La situation actuelle, les risques et les tendances décrits ci-dessus exigent des écomusées qu’ils identifient et acceptent les défis qui les attendent, en faisant des choix, même difficiles ou douloureux, et en adoptant l’approche intégrale recommandée dès 1972 par la Table Ronde de Santiago. Cela suppose que les fondateurs et responsables des écomusées s'attachent, non plus seulement à la gestion du patrimoine au quotidien, mais se comportent en entrepreneurs sociaux et culturels, conscients de l'importance politique de leur projet et de la nécessité de mobiliser pour lui toutes les forces vives du territoire.


Evaluer l'utilité sociale de l'écomusée

Comment évaluer un écomusée, comment déterminer son utilité sociale réelle ? L'évaluation est un regard que l'on porte sur son action, sur ses objectifs, ses méthodes, ses résultats. Ce n'est pas un jugement, mais elle exige une certaine rigueur et autant que possible une participation de quelques acteurs et usagers qui apporteront leurs subjectivités propres, de manière à les confronter et à en déduire des orientations et des propositions de modifications.

Nous ne pouvons pas ici élaborer une méthode et une procédure adaptées à tous les écomusées. Chacun doit pouvoir élaborer son propre processus d'évaluation. A côté de l’importante bibliographie existante sur les questions de la qualité et de l’évaluation des musées, dans le sens de leur fonction sociale, des travaux sont disponibles, notamment les études réalisées il y a quelques années en Italie par une équipe de l'Université de Newcastle. La région Lombardie a adopté un ensemble de critères et d'indicateurs pour gérer la labellisation des écomusées au titre de la loi régionale de 2006.

Tentons seulement de lister, à partir de notre propre expérience, les questions qui nous paraissent pertinentes pour déterminer l'utilité sociale, qui est sans doute l'argument principal pour défendre la nécessité de soutenir et de pérenniser l'écomusée. Si cette utilité sociale n'est pas reconnue, cela signifierait que l'écomusée ne sert qu'à ses fondateurs ou au petit groupe des personnes qui l'animent. Les questions doivent être formulées simplement, pour être comprises de tous ceux qui accepteront de participer à l'évaluation et aussi de ceux qui devront approuver les conclusions, car il est très important de faire connaître celles-ci à l'ensemble de la communauté pour les partager.

Cette démarche est nécessaire pour préparer l’avenir et adapter l’écomusée aux changements de la société et de l’environnement. Voici une courte liste d'indicateurs que chacun peut adopter, amender, compléter en fonction du contexte et des souhaits des participants à l'exercice d'évaluation :

  • A quels besoins de la communauté répond actuellement l'écomusée ?
  • Quelle place est donnée au patrimoine dans la stratégie de développement du pouvoir local ?
  • Quel espace de débat et de participation l'écomusée accorde-t-il à la communauté ?
  • Comment la communauté et les citoyens interviennent-ils dans la patrimonialisation et la muséalisation ?
  • Comment les techniciens du patrimoine et de l'écomusée sont-ils préparés à travailler au développement local ?
  • Comment réagissent-ils aux tensions et aux conflits qui mettent en cause le patrimoine ?
  • Quelles sont les conséquences de la constitution de manière participative d'une collection écomuséale dont la responsabilité incombera à l'écomusée ?
  • Comment rendre opératoire la participation de la communauté à la vie de l'écomusée ?
  • Comment l'écomusée peut-il s'intégrer dans les politiques publiques inter-services à l'échelle du territoire ?
  • Jusqu'où la muséologie communautaire nécessite-t-elle une gouvernance spécifique et distincte des autres musées ?

Ceci n'est évidemment d'une brève ébauche. Nous pensons que le moment est venu de créer un véritable logiciel d'évaluation des musées communautaires et même peut-être une procédure de type ISO 25000.


Choisir les objectifs et les priorités

Tout écomusée devrait faire l'objet, au moment de sa création, d'un diagnostic du territoire, de l'état du patrimoine et des attentes de la population, sur le territoire choisi14. Sur la base ainsi constituée, autant que possible de façon participative associant les principales parties prenantes du développement, de la vie sociale et culturelle du territoire, il faut déterminer les objectifs du projet. La simple mise en valeur du patrimoine ne suffit pas, c'est seulement un moyen, pour atteindre de vrais objectifs de service de la société, qui sont fondamentalement de nature politique et doivent être en phase avec les autres objectifs du développement soutenable de ce territoire.

Les objectifs de l'écomusée doivent être formulés avec précision et découler du principe général de la fonction sociale du musée et de la soutenabilité du patrimoine dans le cadre du développement du territoire. Il y a naturellement l'objectif principal, qui peut être la valorisation au sens culturel du patrimoine, ou la valorisation au sens socio-économique, qui peut cibler un thème particulier (industriel, agricole, par exemple), ou encore une combinaison des deux.

Ces objectifs nécessitent une communication efficace en direction des soutiens et financeurs potentiels de l'écomusée, qui ont trop souvent tendance à considérer celui-ci comme une initiative sympathique, certes, mais d'une importance au mieux secondaire. Puis ils serviront de références pour toute évaluation de l'écomusée et de ses diverses activités : les objectifs sont-ils respectés ? D'autres apparaissent-ils, implicitement, qui remettent en cause les priorités et même le service de la société ? A partir des objectifs, une fois ceux-ci précisés et partagés, donc connus de tous, il restera à définir des priorités dans les modalités d'action de l'écomusée. Ici encore il faudra tenir compte du contexte local et des programmes de développement, toujours pour asseoir la crédibilité de l'écomusée, de ses programmes, de ses responsables.

C'est ainsi que les écomusées italiens privilégient la mappa di comunità, qui mobilise la population et l'initie à la gestion de son patrimoine. Pour l'Ecomuseu de Maranguape, c'est le travail avec l'école qui passe en premier, parce que ce sont les jeunes qui devront assumer l'entretien et la transmission du patrimoine commun. Pour un musée indigène du Brésil ou du Canada, la priorité sera la ré-appropriation des territoires et des symboles hérités des ancêtres. C'est à ce prix que la population dans son ensemble et les responsables politiques du territoire comprendront que l'écomusée est un outil à leur service, qui répond à leurs besoins et à leurs attentes, sur lequel ils peuvent s'appuyer, avec lequel ils peuvent dialoguer et coopérer


Choisir les stratégies

Ces premières décisions étant prises, l'écomusée pourra assurer son avenir par le choix d'une gouvernance adaptée à son contexte. Habituellement, on peut constater deux solutions, plus ou moins opposées : la dépendance directe du pouvoir local (municipal, dans la majorité des cas) ou l'indépendance à travers une structure associative. Mais nous avons vu plus haut que l'association, dépourvue de ressources propres suffisantes et ne pouvant exister qu'en recevant des subventions venant de pouvoirs publics ou privés qui n'ont pas les mêmes objectifs, n'est pas vraiment indépendante puisqu'elle doit rendre compte annuellement à des partenaires extérieurs qui sont libres de la soutenir ou de l'abandonner, pour des raisons qui leur sont propres. L'analyse des risques actuels et probables, comme nous l'avons esquissée plus haut, orientera la décision, qui doit, elle aussi, être partagée avec les principaux acteurs locaux du développement, représentant le 24 pouvoir politique, la société civile et les milieux économiques.

Dans tous les pays, il existe une gamme de statuts et de modalités d'organisation des entreprises d'intérêt général, entre lesquels il faut choisir. Nous y reviendrons dans le paragraphe suivant. Si nous parlons ici de stratégie, c'est pour tenir compte de deux dialectiques complémentaires qui guideront les choix :

  • comment combiner une démarche de court terme, qui est une phase de transition pour des écomusées existants nécessitant une réorganisation, et une phase de lancement et d'apprentissage pour les nouveaux, dans une perspective à long terme qui implique soutenabilité et évolution ?
  • comment concilier le cadre micro-local, celui du territoire, toujours réducteur à cause du risque d'enfermement identitaire, avec une vision nécessairement macro-globale, régionale, nationale, voire transnationale ou européenne, imposée par le besoin d'ouvrir des fenêtres sur le monde extérieur ?

Il n'y a pas de réponse unique à ces questionnements, mais des réponses données par les promoteurs du projet dépendront le choix des principaux partenaires, l'élaboration de programmes et de budgets, la recherche d'acteurs locaux et de coopérations externes, la définition des sources de financement et des contraintes acceptables pour leur obtention.

De même se pose la question des relations entre structures culturelles et patrimoniales locales, entre l'écomusée et les autres musées, les monuments, les bibliothèques et centres d'archives, les associations de défense du patrimoine et de l'environnement. On l'a vu, les distretti culturali italiens15 apportent une réponse à ce besoin d'union opérationnelle des forces du secteur culturel au sens large face aux difficultés du moment ou de l'avenir..


Devenir une entreprise mixte ou hybride

Comme nous l'avons déjà répété à plusieurs reprises, un écomusée, en raison de son caractère innovant, expérimental, non-conformiste, n'est pas une institution culturelle régie par les mêmes normes que les musées qui sont des services publics culturels traditionnels dont le financement est en principe assuré par les collectivités territoriales, de la commune à l'Etat. Est-ce d'ailleurs une institution ? Lorsqu'un écomusée est en réalité une structure municipale, ce qui arrive souvent, il peut être mal à l'aise dans une direction culturelle, qui comprend mal le caractère expérimental, les questions d'environnement, de développement local et aussi les actions dites "transversales" qui recoupent l'ensemble des champs sectoriels de la municipalité.

C'est pourquoi la majorité des écomusées, du moins en Europe, adaptent le statut associatif, dit "sans but lucratif" (on dit aussi parfois ONG, organisation non gouvernementale). Mais cette formule est mal adaptée, car elle rend l'écomusée étroitement dépendant des subventions octroyées, soit par les administrations publiques soit par des fondations ou des mécènes, qui sont fragiles et dépendent de jugements subjectifs exprimés par des politiciens, des fonctionnaires, des responsables de banques ou d'entreprises, toujours susceptibles de changements d'orientation et dépendant de l'évolution des budgets ou des chiffres d'affaires.

Or l'écomusée est, dans la pratique, une entreprise de gestion et de valorisation du patrimoine d'un territoire, qui possède toutes les caractéristiques d'une entreprise, mais qui est rarement considéré comme telle. Il gère, au moins indirectement un patrimoine commun, il a du personnel volontaire ou salarié, il investit dans des équipements plus ou moins coûteux, il produit des biens commercialisables, ou bien commercialise le produits locaux, il participe à des programmes touristiques, il administre un portail ou des sites internet, il est présent sur les canaux sociaux, etc. Cela suppose une gouvernance rigoureuse, crédible auprès des partenaires et des interlocuteurs publics et privés, une capacité d'emprunter aux banques, un fonds de roulement appuyé sur un capital permanent.

L'écomusée, pour toutes ces raisons, doit rechercher un statut particulièrement adapté à ses missions et à son objectif majeur de service de la communauté. Ce n'est pas une entreprise capitaliste, vouée au profit rémunérant les détenteurs du capital, c'est clairement l'une des deux formules suivantes (à rechercher et à comparer selon les législations nationales applicables):

  • L'économie mixte, qui associe dans une structure de statut commercial des capitaux publics (majoritaires) et privés, pour la gestion d'un service culturel d'intérêt social sur un territoire; les capitaux privés peuvent être apportés par des parties prenantes de l'écomusée, entrepreneurs locaux, associations, personnes physiques, résultat de souscriptions dans la communauté. Cette économie mixte est mieux adaptée à un écomusée qui intervient fortement sur le champ économique et réinvestira au moins une partie de ses bénéfices dans son objectif social, qui est la gestion du patrimoine commun pour le développement.
  • L'économie sociale ou coopérative, qui rassemble à parité (un homme = une voix) toutes les parties prenantes, personnel, collectivités publiques, acteurs économiques et associations locales, dans une véritable entreprise d'utilité sociale. Tout en étant une véritable entreprise, l'écomusée qui choisit ce statut reste une structure militante où l'investissement intellectuel a autant d'importance que l'investissement financier. Ce type de statut porte des noms différents selon les pays: société à finalité sociale en Belgique, union d'économie sociale (UES) ou société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) en France, fondation, coopérative ou association au Portugal, coopérative sociale en Italie, organização da comunidade civil de interesse público (OSCIP) au Brésil, entreprises sociales dans les pays anglo-saxons, corporations à but non lucratif au Canada, etc

Dans les deux cas, l'hybridation des ressources est la règle et permet à la fois une réelle implication des parties prenantes et une diversification des ressources qui aide à remédier aux fluctuations économiques et politiques du moment.

Le choix du statut est une décision importante qui ne peut pas se prendre à la légère et qui oblige à s'assurer de l'engagement réel et durable des parties prenantes. Il faut obtenir également l'aide d'experts juristes, fiscalistes, de bons connaisseurs de la situation du territoire, aller rencontrer des structures analogues qui peuvent donner leur expérience concrète et éviter des erreurs.

 

FILIPE, Graça, DE VARINE, Hugues

Extrait de: Graça Filipe et Hugues de Varine, Quel avenir pour les écomusées ? 

Cet article a été préparé à la suite de l'intervention des auteurs lors de la conférence internationale sur les écomusées tenue à Seixal du 19 au 21 septembre 2012. 


Pour aller plus loin