Le territoire métropolitain français s’étend sur 550 000 km², et sur un peu plus de 675 000 km² pour le territoire national incluant les éléments ultra-marins. Ces derniers concernent l’Amérique du Sud (Guyane), l’Océan Atlantique (Antilles - Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon), l’Océan Pacifique (Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Clipperton) ; l’Océan indien (La Réunion, Mayotte, Les Îles Éparses, l’île Crozet, les îles Kerguelen et les îles Saint-Paul-et-Amsterdam) et pour finir dans l’Antarctique (la Terre Adélie). Cet éparpillement laisse deviner une grande diversité de contextes géologiques.
La géodiversité d’un pays peut être vue, pour une première approche, par sa carte géologique. Néanmoins, des cartes détaillées, géologiques ou autres peuvent aussi témoigner de la richesse géologique par le détail de leurs contours.
1. Les premières cartes géologiques :
Les premières cartes géologiques exposant une vision globale de la géologie résultent d’un souci d’inventaire des ressources géologiques de la France. Le résultat fut d’abord une carte géographique avec des symboles. Cette carte signée de Jean-Etienne Guettard, Antoine-Laurent Lavoisier et Antoine-Grimald Monnet fut achevée en 1767 et publiée en 1780. Elle était précédée d’une vraie carte géologique avec des contours, dressée par Jean-Etienne Guettard, naturaliste soutenu par le Duc d’Orléans. Il présenta sa synthèse sous le nom de « Carte minéralogique sur la nature du terrein d’une portion de l’Europe » en 1746 (Fig. 1). Cette carte n’avait certes pas une grande précision de contours géologiques néanmoins elle exposait clairement des continuités de contours des différents ensembles de part et d’autre de la Manche. On ignorait alors tout de la géologie de la Manche. Il y avait donc bien une abstraction, une construction intellectuelle, un modèle, qui sont les caractéristiques d’une nouveauté scientifique. Une carte géologique est un modèle. Dans ce document, l’auteur s’est « proposé de faire voir par cette carte qu’il y a une certaine régularité dans la distribution qui a été faite des pierres, des métaux & de la plupart des autres fossiles ». Il reconnaît trois bandes concentriques : la bande « sablonneuse » au centre, qui correspond, en gros, au Cénozoïque, la bande « marneuse », en grisé sur la carte, qui correspond au Mésozoïque et la bande « schisteuse » pour les terrains plus anciens, la plupart étant du Paléozoïque.
Bien que les Britanniques aient clamé lors de la célébration du bicentenaire de la Société géologique de Londres en 2007 que la première carte géologique jamais dessinée fut celle de William Smith qui date de 1815, elle n’est cependant pas la première, tant s’en faut. En effet, comme le dit clairement Cecil J. Schneer, Professeur de Géologie et d’Histoire des Sciences de l’Université de New Hampshire : “Mais la grande carte qu’il [Smith] publia en 1815 n’était ni la première carte géologique du XIXe siècle, ni la première à montrer un ordre dans les couches en utilisant l’ordre imposé par les fossiles qu’elles contiennent. Les rivaux parisiens de Smith, Georges Cuvier et Alexandre Brongniart avaient publié une telle carte géognostique du bassin de Paris en 1808, sept ans avant la carte de Smith et l’ont republiée en 1811 et encore en 1822 »1 (fig.2).
On pourrait alors dire qu’avant eux Jean-Etienne Guettard avait dessiné la carte géologique dont les contours s’affranchissaient de l’eau de la Manche. Une manière d’être magnanimes avec nos voisins de l’Albion serait de dire avec eux que la carte de Smith est « la première carte géologique en couleur de tout un pays et d’un seul » ! Celle de Guettard (1746) couvrait une partie de l’Europe et était en noir et blanc, celles de Cuvier et Brongniart (1811) une partie de la France et celle de Jean-Baptiste Julien d'Omalius d'Halloy (Fig. 3) couvrait une partie de la France (1816) puis toute la France et une part de la Belgique (ce pays n’existait alors pas encore), de l’Allemagne, de la Suisse et d’Italie (1822) ...
L’idée de représenter les informations géologiques sur une carte datent de 1684 quand Martin Lister les avait discutées. Dès le début du XIXe siècle, les progrès en cartographie détaillent correctement les contours et les couleurs utilisées sont celles que l’on connaît. En effet, après la carte de Guettard, il semble que les couleurs soient apparues sur les cartes, en Allemagne vers 1770 (avec Gläser 1775 et Charpentier 1778).
Le “belge2” d’Omalius d’Halloy a utilisé des couleurs pour sa carte du bassin de Paris publiée en 1816. Sur cette carte il utilise un rose rougeâtre pour le socle, ses « terrains primitifs », le bleu pour les “vieux calcaires ?”, ceux du Jurassique, le vert pour sa “vieille craie », du jaune pâle pour la « craie ordinaire » et de l’orange pour les terrains de Paris, qui correspondent au Cénozoïque. Le choix des couleurs semble avoir été guidé par la couleur des roches elles-mêmes telles qu’on les voit dans la nature. En effet, les falaises de calcaire, du Jura par exemple, apparaissent généralement bleutées3. Ces niveaux étaient donc colorés en bleu. Dans le bassin de Paris, sur les calcaires jurassiques reposent les sables verts dont la couleur est liée à la richesse en glauconie. Ces couches sont bien connues car elles constituent l’un des plus importants aquifères. Elles étaient donc représentées en vert, et aujourd’hui, plus généralement cette couleur correspond au Crétacé. Les sédiments plus récents du bassin de Paris sont surtout représentés par des sables clairs beiges, crème, jaunes. Ces couleurs furent celles utilisées pour le Cénozoïque. Initialement les couleurs représentaient des lithologies étant donné que les premières cartes avaient un but utilitaire, pour l’exploration des ressources naturelles. De fait, les premières subdivisions de l’échelle des temps étaient basées sur le même principe (ce qui a donné les appellations Carbonifère, Crétacé, Trias avec ses Bundsandstein –grès bigarré-, Muschelkalk –calcaire coquiller- etc.).
1 But the great map that he published in 1815 was neither the first geological map of the 19th Century nor the first to show an ordering of the strata and to make use of the accompanying ordering of their fossil contents. Smith’s Paris rivals, Georges Cuvier and Alexandre Brongniart published such a "Geognostique" map of the Paris Basin in 1808*.
* En fait, la publication de 1808 (dont le titre est identique à celle de 1811) ne comporte pas de carte.
2 Il est peut-être inapproprié de parler de Belge car ce royaume n’a été créé qu’en 1830, un quinzaine d’années plus tard.
3 Sans doute la raison pour laquelle sur les coupes géologiques on a tendance à représenter le calcaire en bleu, même quand le Jurassique n’est pas concerné.
2. Pourquoi ces couleurs ?
Les cartes géologiques utilisent généralement un code couleur dont la signification est internationalement admise : bleu pour Jurassique, vert pour le Crétacé, teintes jaunes pour le Cénozoïque etc. L’histoire de ces couleurs ne fut pas celle d’un long fleuve tranquille, mais elle reste relativement simple dans ses grandes lignes.
L’Europe occidentale est le berceau de la stratigraphie et des cartes géologiques. On a vu (fig. 1 et 2) que la première carte géologique au monde concerne le bassin de Paris, la première en couleur aussi, et leurs couleurs sont familières à nos yeux puisqu’elles sont proches de celles utilisées de nos jours.
Sur ces cartes, on a vu pourquoi le Jurassique est bleu, le Crétacé vert et le Tertiaire jaune. Plus tard, le Trias a été reporté en rose violacé à cause de la couleur caractéristique de son Buntsandstein qui marque la cathédrale de Strasbourg ou le Château du Haut Koenigsbourg en Alsace ou encore Collonges–la-Rouge dans le sud du Limousin. Le Paléozoïque, offrant des roches plus sombres a été mis en marron et, bien entendu, le Carbonifère, avec son charbon habillé en gris foncé. On retrouve ici les principales teintes de la carte géologique.
Comme on peut l’imaginer l’acceptation de ces couleurs a été longuement et intensément discutée. Ce fut plus particulièrement le cas durant le deuxième congrès géologique international de Bologne (Italie) en 1881 (Capellini G. 1882). Quelques pays montraient une préférence marquée pour une association à partir des trois couleurs principales : rouge, bleu et jaune. D’autres favorisaient des teintes à partir de l’arc en ciel. Le débat était soutenu par l’imagination aussi bien que pour des raisons pratiques ou nationalistes. In fine, on peut noter que la force de l’usage semble avoir été la plus efficace.
Une homogénéisation des couleurs a commencé à être établie entre 1830 et 1860 avec la publication de nouvelles séries de cartes (exemple : Fig. 4, 5 et 6).
Les organisations scientifiques se sont ensuite attelées à arrêter un protocole de couleurs. Cette tâche fut l’objet de nombreux échanges parce que les géologues de chaque pays avaient leurs fortes préférences.
Néanmoins, vers 1881, les géologues européens étaient sur le point d’aboutir sur une charte de couleurs pour la première carte géologique d’Europe publiée à l’occasion du deuxième Congrès Géologique Internationale tenu à Bologne (Italie).
3. QUELQUES TÉMOIGNAGES DU GÉOPATRIMOINE FRANÇAIS:
La géodiversité en France est tout à fait remarquable. Les principaux objets et sites géologiques sont bien représentés : massifs anciens, (Massif armoricain, Ardennes, Massif central, Saint-Pierre et Miquelon) et les chaines plissées plus récentes (Alpes, Pyrénées, Alpes Calédoniennes), arcs insulaires (Antilles), points chauds (La Réunion), grandes provinces ignées (Kerguelen) ; grands bassins sédimentaires (Bassin parisien, aquitain et du Sud-Est) ; fossés d’effondrement (Alsace, Limagne) (Massif central ) ?. Le territoire est aussi le témoin d’une histoire qui s’étend sur plus de 2 milliards d’années. Les phénomènes géologiques tels que volcanisme (récent et ancien), de ride médio-océanique ou d’intra-plaque, distensif ou compressif), métamorphisme, érosion, transport, environnements de dépôts sont bien représentés. Tous les types de roches sont présents (celles formées en profondeur, volcaniques, métamorphiques, sédimentaires, etc.).
De nombreuses références internationales sont issues du territoire national. Des noms de roches ou minéraux portent l’empreinte de leur territoire d’origine (Tableaux 1 et 2), ou celle d’un français, souvent géologue (Tableau 3). Parfois, c’est l’échelle des temps qui en porte la trace (Tableau 4).
Outre une grande variété de sites paléontologiques et minéralogiques, la France possède aussi des étalons de référence en termes d’échelle des temps géologiques4. On en compte une quarantaine.
Même si, demain, la représentation discontinue du temps est remplacée par une représentation continue, fondée sur le degré d'évolution de taxons et sur une radiochronométrie précise, on continuera d'avoir recours aux références concrètes que sont les stratotypes. Ils demeurent donc une référence patrimoniale concrète, puisqu’ils expriment des discontinuités, des périodes, à l’échelle du globe.
Ce ne sont plus seulement les fossiles et les roches extraits des successions stratigraphiques qui représentent l’enregistrement significatif, mais bien les coupes de terrains elles-mêmes, c’est-à-dire les falaises, les paysages qui les portent. La protection de ces sites est le seul moyen de garantir la parfaite intégrité scientifique de ces objets de référence.
Les affleurements des couches de terrain, qui correspondent à ces étalons internationaux de temps, méritent donc de devenir des sites protégés car ils appartiennent au patrimoine scientifique international.
Sur la quarantaine de stratotypes que compte la France (Figure 7, seule une douzaine est actuellement protégée. Contrairement à d’autres stratotypes protégés, le stratotype de couche du Barrémien et le stratotype de limite (GSSP) du Bathonien, n’ont pas donné lieu à la création d’une Réserve Naturelle Nationale (RNN), mais ils ont rejoint le périmètre de protection de la Réserve Géologique de Haute Provence, créée par arrêté préfectoral en 1989.
DE WEVER, Patrick, CORNÉE, Annie, EGOROFF, Grégoire
MNHN, Paris, France
4 Inspiré de De Wever & Cornée (2010). De l’échelle des temps au stratotype in Stratotype Albien (C. Colleté coordinateur), edit MNHN-Biotope, pp.14-27.
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Tableau 1. Quelques roches (lithotypes) dont le nom est fondé sur une localité (toponymes) ou un nom de famille (patronyme) -
Tableau 2. Quelques minéraux dont le nom est issu d’un toponyme français. -
Tableau 3. Quelques minéraux dont le nom est issu d’un patronyme français. -
Tableau 3. Quelques minéraux dont le nom est issu d’un patronyme français. -
Tableau 3. Quelques minéraux dont le nom est issu d’un patronyme français. -
Tableau 3. Quelques minéraux dont le nom est issu d’un patronyme français. -
Tableau 3. Quelques minéraux dont le nom est issu d’un patronyme français. -
Tableau 4. Quelques stratotypes français.
Pour aller plus loin
Cuvier G. & Brongniart A. (1811) Essai sur la géographie minéralogique des environs de Paris, avec une carte géognostique, et des coupes de terrain. Baudouin, Paris, 278 p.
Gläser F.G. (1775).- Versuch einer mineralogishen Beschreibung der gefürsteten Graffschaft Henneberg. Leipzig, in-8°.
Guettard J-E. (1746) Mémoire et carte géologique. Sur la nature des terreins qui traversent la France et l'Angleterre. Mémoires de l’Académie royale des Sciences, Paris : 363-393.
Ce texte reprend pour partie la publication téléchargeable ci-dessous :