Le géopatrimoine[1] concerne des objets de toute taille (du paysage à la taille du minéral) et sont donc intrinsèquement (par leur valeur propre) ou extrinsèquement importants, par le regard que l’on porte sur eux, c’est-à-dire culturellement.
[1]: le vocable géologique est utilisé ici dans son acception la plus large (du grec geo-logos : discours sur la Terre) […], et doit être considérée dans le cadre de ses relations avec les autres objets de la nature, de la culture, de l’histoire avec lesquelles elle est en interaction permanente
« Si vous voulez converser avec moi, définissez vos termes »
Voltaire
Patrimoine géologique:
Les hommes souhaitent comprendre le contexte socio-économique, naturel ou géographique dans lequel ils vivent. De ce fait l’approche géologique est nécessaire. En effet, l’histoire de l’humanité, des animaux et des plantes est parfaitement liée à l’histoire de la Terre (et même à celle des étoiles nous dirait Hubert Reeves, puisque « nous sommes des poussières d’étoiles »). Les paysages, les pratiques agricoles et commerciales, de même que les industries anciennes sont dépendantes de la nature du sol (sol et sous-sol). Les matériaux de construction aussi, évidemment, sont tout autant dépendants des ressources locales.
Ce que nous appelons géopatrimoine équivalent de geoheritage en anglais) relève de faits géologiques qui ont des importances globales (mondiales), nationales ou locales et de sites géologiques qui représentent des phénomènes (volcanisme, ségrégation magmatique, métamorphisme, altération, sédimentation …) ou témoignent de l’histoire de la Terre (paléontologie, tectonique globale, climat, niveau marin …).
Le géopatrimoine concerne des objets de toute taille (du paysage à la taille du minéral) et sont donc intrinsèquement (par leur valeur propre) ou extrinsèquement importants, par le regard que l’on porte sur eux, c’est-à-dire culturellement. Il offre des informations ou permet la compréhension des éléments relatifs à la formation ou à l’évolution de la Terre, à l’histoire des sciences et peut être utilisé pour la recherche, ou comme référence ou encore pour des objectifs pédagogiques.
Le géopatrimoine concerne tant les objets sortis de leur site (géopatrimoine ex situ) que les sites eux-mêmes (géopatrimoine in situ) qui sont en relation avec les sciences de la terre et d’un intérêt remarquable pour la mémoire de la Terre.
Outre les riches sites géologiques (objets in situ), les muséums et universités abritent plusieurs millions d’objets (patrimoine ex situ) représentés par des roches, fossiles, minéraux, carottes de forages associés à leur documentation (sans laquelle ces objets perdent leur valeur scientifique) qui sont aussi du patrimoine géologique.
Qu’est-ce qui appartient au géopatrimoine ?
Des objets relèvent du patrimoine en eux-mêmes, tels des blocs très fossilifères comme la dalle à ammonites de la Réserve géologique de Haute Provence (Photo 1) ou ces plaques à orthocères du Sud marocain (Photo 2).
La pièce sombre, à gauche, montre, outre ses Orthoceras bien conservés, une orientation générale des fossiles témoignant de l’existence d’un courant. Il s’agit évidemment d’une pièce qui, en soi, appartient au patrimoine géologique.
La pièce claire, à droite, présente une distribution homogène et élégante de deux types de fossiles emblématiques : orthocères et goniatites. Comme on le voit assez facilement avec les orthocères : ils sont fabriqués avec plusieurs fragments différents et certaines parties sont même simplement de la matrice, de la gangue sculptée. Cette plaque peut être vendue comme sculpture artisanale et non comme patrimoine géologique.
Au Maroc, certains objets géologiques sont vendus dans les magasins locaux comme produits de l’artisanat ou de décoration en exposant de jolis fossiles. Beaucoup de géologues reconnaissent en certaines pièces des artéfacts (faits de plusieurs pièces d’organismes différents) et les artisans produisent de beaux objets, mais artificiels. Ces pièces peuvent être vendues, elles aident l’économie locale et ne sont pas un danger pour le patrimoine géologique de la région. Il convient seulement de veiller à ce que ces pièces ne soient pas vendues comme objets de nature authentique. Il convient aussi à ce que l’acheteur soit vigilant, même si, parfois, les artisans annoncent la couleur sur leurs points de vente en affichant franchement (ou benoitement benoîtement ?) « fabrication des fossiles » (Photo 3).
Certains objets, en eux-mêmes, ne méritent pas d’être classés dans la catégorie patrimoniale, mais chargés d’informations complémentaires, ils obtiennent ce statut.
Les «pierres de rêve » (Dali Shi, ce qui signifie la pierre de Dali, Yunnan, Chine, où elles abondent tellement que le mot marbre se dit aussi Dalishi) (Fig. 14) sont un autre exemple d’objets dont la réelle qualité esthétique ne suffit pas à un faire un objet patrimonial. Mais quand de tels objets ne sont pas isolés mais appartiennent à une collection de dizaines de pièces déposées dans un musée, leur statut change en terme juridique. Si, de plus, cette collection a été rassemblée par un personnage célèbre comme Roger Caillois (1913-1978), connu pour ses œuvres littéraires et pour sa passion des pierres et les poèmes qu’il leur consacra (i.e. Pierres en 1966, et L'Écriture des pierres en 1970), alors la collection peut réellement être considérée comme patrimoniale.
Certains paysages sont intéressants en soi mais ne méritent pas d’être enregistrés comme faisant partie du géopatrimoine s’ils sont considérés seuls, mais s’ils sont associés à d’autres critères, leur niveau d’intérêt augmente. C’est le cas par exemple du massif de la Sainte-Victoire (Provence, France, Photo 5). Cette montagne expose de manière pédagogique un front de chevauchement provençal. Son contrefort méridional porte encore les restes d’oppidums celto-ligures gaulois et son pied occidental est constitué de terres rouges du Crétacé riches en œufs de dinosaures. En outre, la Sainte-Victoire a été peinte maintes et maintes fois, par Pablo Picasso, Vassily Kandisky et en particulier par Paul Cézanne qui l’a représentée dans une soixantaine de peintures et qui écrivait à son sujet : « Comme je vous le disais ce matin, j’ai besoin de connaître la géologie, comment Sainte-Victoire s’enracine, la couleur géologique des terres, tout cela m’émeut, me rend meilleur » (propos rapportés par Joachim Gasquet, Doran, 19781). La conjonction de ces cinq critères confère incontestablement une valeur patrimoniale à ce site qui est d’ailleurs classé comme Site Natura 2000 et Grand Site de France.
Un géosite est compris comme un endroit géologiquement exceptionnel, géographiquement limité et contenant un ou plusieurs éléments géologiques. Ces éléments présentent une valeur spécifique d’intérêt scientifique, pédagogique, culturel ou touristique (Brilha et al. 2005). Les géosites sont généralement choisis sur la base de dires d’experts qui ont la connaissance du lieu.
Le géopatrimoine est essentiellement une partie du Patrimoine mondial, dans la mesure où il représente le seul enregistrement de l’ensemble de l’évolution de notre planète. Celle-ci est enregistrée sous une multitude de formes et, comme pour un puzzle, ces pièces n’ont de sens que lorsqu’elles sont assemblées de manière cohérente et regardées ensemble. Seul un nombre limité de pièces n’est pourtant est pourtant accessible à l’observation humaine.
Le terme patrimoine géologique est défini avec la notion d’objet géologique remarquable ce qui ressort de son intérêt scientifique, éducatif, de sa rareté, son exemplarité, sa représentativité, sa valeur historique, son état de conservation exceptionnel, sa qualité esthétique…
Les objets géologiques les plus remarquables, quelle que soit leur taille, devraient bénéficier d’une conservation et protection in situ ou ex situ. De nos jours, la protection du patrimoine doit être comprise comme un processus dynamique plutôt que déposé sous un dôme d’exposition protecteur. C’est-à-dire une valorisation avec un faire-savoir, qui permet de voir, de comprendre et aussi d’étudier.
1 Lettre à son ami, le poète Joachim Gasquet (selon Doran, 1978).
DE WEVER, Patrick, CORNÉE, Annie, EGOROFF, Grégoire
MNHN, Paris, France
Pour aller plus loin
Actes du premier symposium international du patrimoine géologique. (1994) Digne-les-Bains, 11-16 juin 1991, Mémoire de la Société Géologique de France, 165, 276 pages.
Brilha (2005) J. Brilha1, C. Andrade, A. Azerêdo, F.J.A.S. Barriga, M. Cachão, H. Couto, P.P. Cunha, J.A. Crispim, P. Dantas, L.V. Duarte, M.C. Freitas, H.M. Granja, M.H. Henriques,P. Henriques, L. Lopes, J. Madeira, J.M.X. Matos, F. Noronha, J. Pais, J. Piçarra,M.M. Ramalho, J.M.R.S. Relvas, A. Ribeiro, A. Santos, V.F. Santos, and P. Terrinha (2005).- Definition of the Portuguese frameworks with international relevance as an input for the European geological heritage characterisation. Episodes, 28-(3), pp. 177-186.
Doran M. (1978).- Conversations avec Cézanne, Michael Doran, Maurice Denis, Émile Bernard, Joachim Gasquet, Ambroise Vollard, Gustave Geffroy, Léo Larguier, Jules Borély, Francis Jourdain, R.P. Rivière, Jacques Félix Simon Schnerb, Karl Ernst Osthaus, édition Macula, Paris, 320 pages, page 122.
Espurt N., Hippolyte J.-C., Saillard M. et Bellier O.,2012. Geometry and kinematic evolution of a long-living foreland structure inferred from field data and cross section balancing, the Sainte-Victoire System, Provence, France, Tectonics, vol. 31, 4, n°TC4021, 2012.
Actualité Juridique, Droit Administratif, p. 1034.
Le Louarn Patrick (2011).- Le droit de la Randonnée pédestre. Edit. Victoires, coll. Environnement, 303 pages.
Pannizza M. ,(2001) − Geomorphosites: concepts, methods and example of geomorphological survey. Chinese Science Bulletin, 46, Suppl. Bd, 4-6.
Reynard E. (2004).- Géotopes, géo(morpho)sites et paysages géomorphologiques. In Reynard E., Pralong J-P. (eds). Paysages morphologiques, Université de Lausanne, Institut de géographie, Travaux de recherche, 27, pp.123-136.
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