Qu'est-ce que l'accessibilité universelle? Ce concept est apparu au début des années 80 dans de nombreux pays : Canada, Etats-Unis, Irlande, Japon... Le principe d’accessibilité universelle s’adresse à touts les personnes en situation de handicap (moteur, psychique, mental, sensoriel) ; il doit donc être appliqué dès la conception d’un projet ou d’un service. Il vise à éliminer tous les obstacles rencontrés en adaptant l’environnement aux besoins et activités de tous.
L'évolution des discours sur le handicap témoigne d'une prise de conscience forte de nos sociétés contemporaines à l'égard des personnes en situation de handicap. Cela se traduit concrètement pas une évolution significative de la législation, du discours politique mais aussi des actions de terrain en direction de l'accessibilité. La vie culturelle – dont les aires naturelles protégées participent – prend part activement à ce dynamisme en développant des actions prenant en compte tous les publics, y compris en situation de handicap.
Encadrement législatif et politique du handicap à échelle internationale
En premier lieu, un consensus moral s'impose dans la pensée contemporaine, autour de textes phares et fondateurs, comme la Charte des Nations Unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945, ou la déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen, adoptée à Paris le 10 décembre 1948.
L'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du Citoyen (1948) nous intéresse particulièrement, puisqu'y apparaît l'idée de droit citoyen associé aux personnes en situation de handicap, ainsi que d'une responsabilité de la société à leur égard :
« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien- être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. »
Pour autant, si le handicap apparaît de manière plus ou moins directe dans les textes fondant les grands principes organisateurs de la pensée contemporaine, aucune action concrète en direction des personnes discriminées, et notamment en situation de handicap, n'est initiée. Ces textes ne se pas contraignants juridiquement, mais ils apparaissent simplement un socle – nécessaire – à partir duquel pourront se développer des législations, des actions et donc une réflexion plus engageante sur la voie de la considération des groupes minoritaires et discriminés.
L'influence de mouvements sociaux et identitaires, notamment dans les pays anglosaxons, a été décisif. Les années 1970 voient donc entrer dans le cadre législatif et dans le débat politique la question du handicap, dans des termes concrets et avec un impact réel sur la réalité vécue par les personnes en situation de handicap. L'objectif ici n'est pas de fournir un historique de la prise en compte législative du handicap : cette approche a par ailleurs été proposée par d'autres auteurs, comme Isabelle Ville, Emmanuelle Fillion et Jean- François Ravaud dans leur ouvrage Introduction à la sociologie du handicap histoire, politiques et expérience2, paru en 2014.
En se focalisant sur la situation actuelle, posons le cadre sur lequel s'ancrent les diverses actions en direction des personnes en situation de handicap, et dans lequel les personnes vivent leur expérience du handicap.
L'accessibilité des sites culturels : cadre légal et actions politiques phares
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen apparaît toujours comme le texte fondamental à prendre en considération, et elle pose comme un droit fondamental le respect de la culture de chacun, et l'accès libre à la vie culturelle pour tous les citoyens. Les articles 22 et 27 doivent être cités :
« Article 22 : Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l'effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays. »
« Article 27 : Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent »
En France, le ministère de la culture et de la communication a lui aussi endossé cette responsabilité dès sa création en 1959, en affirmant dès le premier article de son décret fondateur, la nécessité de « rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l'humanité »16. L'accès à la vie culturelle est donc passé du statut de privilège à celui de droit.
La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, adoptée par l'ONU le 13 décembre 2006 ne donne pas la priorité aux musées, mais la participation à la vie culturelle est tout de même affirmée comme un droit fondamental du citoyen handicapé dans l'article 30 (photo)
Les établissements culturels, lieux d'enjeux politiques et idéologiques forts, sont symboliquement importants dans la lutte de reconnaissance des personnes handicapées, puisque la participation à la vie culturelle fait partie des droits fondamentaux du citoyen. Ainsi, on comprend la raison pour laquelle pour les personnes en situation de handicap, l'accès aux musées est devenu une revendication, un enjeu de reconnaissance et d'intégration, puisqu'il est un garant de la participation citoyenne.
En France :
La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées pose comme obligation réglementaire la mise en accessibilité des Établissements Recevant du Public (ERP). L'article 41 de cette loi modifie en effet l'article L. 111-7 du code de la construction et de l'habitation en précisant :
« Les dispositions architecturales, les aménagements et équipements intérieurs et extérieurs des locaux d'habitation, qu'ils soient la propriété de personnes privées ou publiques, des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public et des lieux de travail doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, notamment physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique »
Les ERP sont définis comme suit par l'article R 123-2 du code de la construction et de l’habitation :
« Tout bâtiment, locaux et enceintes dans lesquels des personnes sont admises, soit librement soit moyennant une rétribution ou une participation quelconque, ou dans lesquels sont tenues des réunions ouvertes à tout venant ou sur invitation, payantes ou non. Sont considérées comme faisant partie du public toutes les personnes admises dans l'établissement, à quelque titre que ce soit, en plus du personnel. »
Ainsi, les musées sont soumis à ces exigences légales d'accessibilité.
Outre cette loi de 2005, un certain nombre de décrets relatifs au cadre bâti encadrent les dispositions d'accessibilité. En voici les principaux, tels que nous les présente Soraya Kompany, experte en accessibilité, dans son ouvrage Accessibilité pour tous: la nouvelle réglementation : analyse des textes réglementaires issus de la loi du 11 février 2005 relative aux personnes handicapées et à leur accessibilité (2008).
À échelle ministérielle, notons la mise en place d'une commission nationale Culture et Handicap, en 2001 :
« Créée par décret du 7 février 2001, elle constitue une instance de dialogue et de consultation entre les ministère chargés de la culture et des personnes handicapées, les principales associations de handicapées, les personnes handicapées elles-mêmes et le milieu culturel et artistique. Elle a pour mission de proposer des mesures, dans tous les domaines concernés, notamment l'accès aux équipements, à la pratique artistique, à la formation et aux métiers de la culture. »
Cette commission a abouti à la signature en 2006 de la « Convention nationale culture- handicap », signée par le ministère de la culture et de la communication et le ministère en charge des personnes handicapées. En parallèle a été signée la « Convention nationale culture-tourisme ». Ces conventions sont consultables et téléchargeables sur le site Internet du Ministère de la Culture.
Notons ensuite la loi de 2002 relative aux musées de France qui, même si elle n'évoque pas le handicap de façon explicite, a un retentissement important dans l'univers des musées. Elle ancre dans les fonctions premières du musée de garantir un accès pour tous les publics, et pose comme obligation de mettre en place des actions et dispositifs spécialement destinés aux « publics spécifiques », dont les personnes en situation de handicap font partie.
Sont définies comme suis les différentes missions du musée :
- « conserver, restaurer, étudier et enrichir leurs collections
- rendre leurs collections accessibles au public le plus large
- concevoir et mettre en œuvre des actions d'éducation et de diffusion visant à assurer l'égal accès de tous à la culture.
- Contribuer au progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu'à leur diffusion. »
Elle pose également comme obligation légale la présence d'un service des publics : « Chaque musée de France dispose d'un service ayant en charge des actions d'accueil des publics, de diffusion, d'animation et de médiations culturelles. Ces actions sont assurées par des professionnels qualifiés. »
Enfin, une autre action que l'on peut signaler à échelle ministérielle est la mise en place du prix Patrimoines pour tous (créé en 2007). Il récompense l'accessibilité générale des sites patrimoniaux, dans un esprit de mixité des publics et de confort d'usage pour tous. Il est mis en place et piloté directement par le ministère de la culture et de la communication et ses services déconcentrés (les Directions Régionales des Affaires Culturelles).
Il encourage ainsi les initiatives à destination des personnes handicapées dans les musées et lieux de patrimoine, montrant à quel point cet engagement est concret. Le foisonnement d'initiatives dans les musées à destination des personnes en situation de handicap illustre également la force de l'engagement en direction de la mise en accessibilité.
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©Cindy Lebat
Vers une muséologie de plein-air accessible ? Penser l'accessibilité dans les espaces naturels.
La question de l'accessibilité et de l'accueil des publics en situation de handicap et des sites de plein-air, qu'ils soient muséaux, patrimoniaux ou des espaces naturels, oblige à un croisement thématique et disciplinaire, mobilisant des recherches et questionnements issus tant de la muséologie, la géographie, l'urbanisme ou de la sociologie. Elle s'ancre également dans des secteurs professionnels divers, autour d'un réseaux d'acteurs pluriel et complexe, issu du secteur du tourisme, du médico-social, de l'écologie, et de la sphère politique.
La mise en accessibilité des espaces naturels a cependant été davantage abordée dans des cadres disciplinaires et d'action relevant du tourisme, de la géographie, de l'urbanisme et de la sociologie du handicap que de la muséologie. C'est donc dans cette optique que nous présenterons les principales réflexions et actions qui lui sont liées.
Citons par exemple la thèse de géographie de Arthur Guénat25, soutenue en 2012 à l'université de la Réunion et proposant une analyse de l'accessibilité des espaces naturels de l'île pour les personnes à mobilité réduite, en plaçant sa réflexion au sein d'une socio- histoire longue de la prise en compte du handicap dans la société et notamment dans les domaines du sport et du tourisme.
La même année, David Amiaud26 soutient lui aussi une thèse de géographie à l'université de La Rochelle, autour de l'accès aux espaces littoraux pour les personnes en situation de handicap, abordant cette problématique à la fois dans les milieux urbains et naturels (postulant malgré tout que les lieux de tourisme sont essentiellement urbanisés).
Notons également une prédominance très forte de la « littérature grise », au détriment d'un réel développement de la recherche académique. Cela montre une implication des acteurs du terrain sur une problématique très concrète d'aménagement des espaces. Dans la constitution de ce domaine de recherche, l'impulsion – encore faible mais pourtant réelle – vient clairement du terrain, c’est-à-dire à la fois des personnes concernées directement par le handicap, des acteurs du secteur médico-social et des professionnels de la culture.
À titre d'exemple, citons le rapport « L'accessibilité de tous les publics : pour une nature ouverte à tous. », édité à la suite du 15è forum des gestionnaires, ayant eu lieu les 5 et 6 mars 2009 à Lille. Ces actes de colloque d'une vingtaine de pages et reprenant plusieurs interventions ayant eu lieu dans le cadre du « forum des gestionnaires » de 2009 sont consacrés à la question de la mise en accessibilité des sites naturels. Offrant des conseils pratiques, il apparaît principalement à destination des porteurs de projets « accessibilité » dans des contextes géographiques variés (Mont Blanc, île de la Réunion, Guadeloupe, etc.). Notons également l'existence, sur le site internet des Parcs Naturels Régionaux français, d'un recueil d'exemples de « bonnes pratiques », sous forme de fiches détaillent les actions déjà initiées dans des parcs naturels pour accueillir les personnes en situation de handicap.
La littérature concernant l'éducation à l'environnement27, le développement durable et les processus de labellisation des espaces naturels28 sont également d'une grande utilité pour penser l'accessibilité de ces sites. En effet, elle permet de revenir notamment sur les enjeux, essentiellement sociaux et identitaires, qui animent la création de ces espaces et impulsent des mouvements en direction des visiteurs en situation de handicap.
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©Cindy Lebat
Mise en accessibilité des espaces naturels : des problématiques spécifiques
Méconnaissance du handicap et persistance des idées reçues
Le premier frein a évoqué concerne évidement l'ensemble des espaces culturels, et peut- être même de l'accessibilité en général. Il s'agit évidemment d'un frein sociétal lié à une méconnaissance forte du handicap et à la persistance d'un certain nombre d'idées reçues, et ceci concernant tous les types de déficiences. Charles Gardou parle du handicap comme d'une réalité fantasmée, pétrie d'approches irrationnelles et d'idées préconçues :« on fantasme le handicap de ne pas le connaître »
En règle générale, la mise en accessibilité est donc conditionnée par l'existence d'une volonté individuelle au sein d'une équipe, ou par la présence forte d'une association. Arthur Guénat dresse dans sa thèse le même constat au sujet des sites touristiques. Il montre que le développement d'activités adaptés aux personnes en situation de handicap est quasiment toujours corrélées à l'existence d'une personnalité extérieure (association, établissement médico-social, etc.) portant elle-même la question de l'accessibilité dans le site touristique :
« Dans plusieurs cas, en France comme ailleurs, là où des pôles regroupant activités sportives ou de loisir adaptées et acteurs associatifs se sont développés, on retrouve toujours les deux phénomènes suivants ou l’un des deux :
- l’aménagement d’un spot d’activités adaptées (ponton pour activités nautiques, handiplage, aire d’envol de parapente...etc.) dû à la présence ou à la volonté d’un établissement de rééducation ou médico-social à proximité immédiate.
- la présence d’une association œuvrant régulièrement ou quotidiennement sur site, voire ayant été initiatrice ou co-initiatrice du projet. »
Des contraintes fonctionnelles : les moyens humains et financiers
Même dans le cas d'une volonté réelle et partagée des divers acteurs du terrain, la mise en accessibilité est soumises à des contraintes concrètes comme celles, évidentes, des moyens humains et financiers. Les investissements nécessaires pour rendre un site accessible sont souvent très importants. De plus, ils ne génèrent que rarement des recettes nouvelles et suffisantes pour couvrir les dépenses engendrées. Marie Dubrulle, médiatrice au musée Picasso d'Antibes et auteure de l'ouvrage « Handybook, petit livre à l’usage des médiateurs culturels travaillant avec des publics aux besoins spécifiques », s'interroge : « Comment établir l'équilibre qui permettrait de fournir une prestation gratuite de qualité envers des publics à besoins très spécifiques et un besoin de rentabilité ou d' apports financiers ? La question reste entière»
Un paradoxe idéologique : comment contraindre la nature ?
L'accessibilité nécessite l'intervention de l'homme sur l'environnement, puisqu'elle vise précisément à réduire les barrières « naturelles » d'un environnement – qu'il soit créé par l'homme ou non – inadapté en l'état. L'aménagement du territoire pour le rendre facilement pratiquable pour les personnes en fauteuils roulants, l'installation de panneaux de sensibilisation en braille ou en tactile, etc. : tous ces éléments garantissent l(accessibilité au prix d'une nécessaire intervention de l'homme sur le site concerné.
Face à cela, rappelons qu'une des ambitions principales de la créations d'espaces naturels protégés et des labels qui les accompagnent est précisément de protéger la nature de toute intervention humaine invasive. L'idée de préservation d'une nature la plus vierge possible est au cœur de l'idéologie qui sous-tend la création d'espaces naturels protégés. Il y a donc là une contradiction idéologique certaine entre la volonté de préservation d'une nature « vraie » (l'idée de nature est précisément contraire à l'intervention de l'homme) et les enjeux sociaux qui sont eux-aussi au fondement de l'idéologie de ces labels « espaces naturels ».
LEBAT, Cindy
Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle
Université Paris 5 - CERLIS
Ce texte reprend pour partie la publication téléchargeable ci-dessous :